1950 – Gérard Philipe tourne "Souvenirs Perdus" près de Notre-Dame de Paris

détail de l'affiche du film "Souvenirs perdus"

En juin 1950, le journaliste du quotidien Combat Jean-François Devay passe une nuit en compagnie de Gérard Philipe et Danièle Delorme qui tournent le sketch « La cravate de fourrure » du film Souvenirs perdus de Christian-Jaque. 

Une partie de l’action de ce sketch très noir, filmé de manière quasi expressionniste avec un biais qui accentue le déséquilibre des deux principaux protagonistes, est tournée sur les quais de Seine non loin de Notre-Dame de Paris.

Cet article a été publié dans le numéro de Combat du 28 juin 1950.

 

"Souvenirs perdus", film de Christian-Jaque avec Gérard Philipe et Danièle Delorme

 

Pour tourner un film noir de Christian JAQUE, Gérard PHILIPE et Danièle DELORME ont passé à Notre-Dame une nuit blanche

« SOUS les ponts de Paris on fait parfois de brèves et curieuses rencontres. L’aube avait déjà planté une tête de pont sur le clocher de Notre-Dame quand, sous la passerelle qui mène à la Cité, j’ai buté du pied sur Danièle Delorme accroupie contre un tonneau et qui sanglotait. Gérard Philipe la contemplait méchamment. La nuit était hostile, l’eau et les pierres aussi. Il n’y avait que Christian Jaque à être aussi tendre et gentil qu’à l’accoutumée.

C’est le quatrième et dernier sketch de ses "Souvenirs perdus" que Christian Jaque a tourné la nuit dernière sur les berges de la Seine et à l’ombre de Notre-Dame. Un sketch horrifique à souhait : l’histoire d’un fou évadé qui se venge de ceux qui l’ont retranché de la vie et, quelques heures avant de succomber lui-même, tue absurdement la femme qui le sauvait.

Gérard Philipe est un merveilleux garçon. Mal vêtu, pas rasé, très sale, harcelé par l'insomnie et la fatigue, il gardait ce sourire émerveillé qui n'est qu’à lui et à tous les enfants du monde.

Quelques visages de Gérard Philipe

— Avant d'être mis en cabane, 5 ans avant, par une famille intéressée, j’étais le genre de type qui donnait des croissants à manger aux chevaux. Je n’ai gardé de mon enfance que des souvenirs de religiosité néfaste. Aussi ma rancune prend-elle l’aspect d’une mission céleste. Je mêle dans ma vengeance tous les gens qui ont un rapport quelconque avec les clés et les serrures. En un mot, je suis devenu complètement cinglé.

Gérard Philipe, pédant, m’explique son rôle.

— La psychanalyse nous a appris que l’enfance imbibait la vie de l’homme. O combien néfaste fut l’enfance de cet homme qui ne retint de son éducation primitive que le rythme religieux ! L’asile suffit donc à déclencher les complexes.

Gérard Philipe, naturel enfin et tel que l'éternité le pose, m’explique son rôle.

— Les nuances très variées que Pierre Véry a su donner à mes rapports avec cette jeune fille que je découvre sous ce pont, donnent à mon rôle une richesse rare dont je suis très content.

Quatre films en un seul

— Hop ! crie Christian Jaque.

"Hop", dans le langage de Christian-jaque cela veut dire "Silence, on tourne". Gérard a brusquement disparu. Danièle Delorme, du moins, me reste.

— Mon rôle est attachant, certes, mais, et c’est le plus important, tout le film me paraît valable. Un film, pour un comédien, cela doit être un film, pas seulement un rôle. C’est tellement rare d’aimer à la fois son rôle et le film. Rare mais vrai, cette fois-ci.

— Gérard ! Gérard !

Cette voix affolée, c'est celle de Christian Jaque. Gérard a disparu. On le retrouve qui essaye de sauver avec de grands gestes fous, un énorme papillon gris qui saute de sunlight en sunlight. Gérard Philipe sera "Le Misanthrope" cet hiver au Vieux-Colombier, mais, en attendant, il aime les papillons.

Tous à Notre-Dame !

Christian Matras, le roi des images, arrive furieux. Quelqu’un a passé devant un projecteur. Il se refuse obstinément à croire qu’il s’agit du papillon.

— Tous à Notre-Dame, crie Christian Jaque.

Et il me souffle à l’oreille.

— Faire du cinéma devient impossible en France. On veut tourner au Louvre : interdit. On veut filmer un car de police : interdit. On veut tourner à Notre-Dame : interdit. Dire qu’en Suède, j’ai allumé des feux dans un village de bois ; qu’en Italie j’ai tourné au Quirinal.

Il fait tout à fait jour maintenant. On plie bagages. Aux fenêtres, on découvre des peignoirs, des pyjamas et quelques aimables décolletés.

— J’aime bien mon film, dit Christian Jaque. Ces quatre histoires sont tellement différentes qu’elles exigent chacune, un ton, une facture, un style absolument spécial. Il y a la comédie comique, la comédie sentimentale, la comédie populaire, la comédie tragique, j'ai l’impression d’avoir tourné quatre films.

Quatre Christian Jaque, d’un coup ? Nous sommes gâtés ! »

 

"Souvenirs perdus", film de Christian-Jaque avec Gérard Philipe et Danièle Delorme

Le film sortira le 11 novembre 1950 en France.

Gérard Philipe devait jouer Le Misanthrope au Théâtre du Vieux Colombier. Ce projet ne verra pas le jour.

 

Illustrations : détail de l’affiche de Souvenirs perdus © Unifrance – copies d’écran du DVD Coin de mire.

 

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