1949 – Gérard Philipe, entre sole meunière et taxi… (tranche de vie)

"Gérard Philipe chez lui" (Cinémonde, 1949)

La célébrité implique aussi des obligations mondaines, même en pleine répétition… Voici une tranche de vie destinée aux lecteurs de Cinémonde, en 1949 : quand une chroniqueuse à potins de « vedettes » accompagne un « jeune premier » à un gala de charité, cela donne ceci :

 

Cinq minutes d’intimité avec Gérard Philipe

« Je connais beaucoup de mes lectrices qui auraient aimé être à ma place hier soir, sur le coup de 21 h. 30.

J’étais dans un taxi qui remontait les Champs-Élysées avec un des plus beaux et un des plus attirants princes charmants de l’écran : Gérard Philipe.

Nous étions seuls tous les deux, assis l'un contre l’autre, dans la petite boîte noire, au milieu des lumières qui éclairaient, au passage, de leurs reflets, le visage de mon compagnon, comme cela se passe dans les films où le héros et l’héroïne s’enfuient à toute vitesse en voiture.

Gérard Philipe avait passé son bras autour du mien, il me parlait et j’étais très heureuse et très fière. Mais que je vous raconte tout par le menu :

J'avais été chargée par l'organisateur d’un gala de lui trouver une vedette de cinéma qui acceptât de le présider. J’ai tout de suite pensé à Gérard Philipe. Car, je l’avoue, de tous nos jeunes premiers, c’est mon chouchou. (J’ai bien un peu le droit, moi aussi, de dire mes préférences personnelles, après nos lectrices !) Gérard, c’est mon dieu, mon seigneur romantique, c’est mon... Mais je m'arrête dans mes débordements lyriques.

Donc, je téléphone à Gérard Philipe.

— Ce me sera difficile, me répond-il, car je suis en pleine répétition, chez Mila Parély, où nous répétons Le Figurant de la Gaîté. Mais venez me prendre quand même sur le coup de 9 h. 15, je tâcherai de m’absenter un moment parce que je vous aime bien...

À 9h. 15, je me présentai à l'hôtel où Mila, qui a épousé un sportif anglais, le coureur automobiliste Mathieson, descend lorsqu’elle quitte Londres pour Paris. Là, on me dit que Gérard Philipe, Mila Parély et son mari sont allés dîner au restaurant voisin "Le Cabaret".

Je les y trouve en effet autour d’une sole meunière. Mila et Gérard ont placé la brochure de la pièce entre leurs assiettes et discutent du ton à donner à une scène difficile. Mila voudrait que Gérard Philipe y mette plus de sensualité. Gérard ne la sent pas tout à fait de la même façon. Leur dialogue est captivant.

Mais j’écoute à peine, toute à la joie d’être à côté de mon acteur préféré et de l’observer. Il a repoussé son assiette et son poisson à peine entamé. Il n'a pas faim ce soir. Il remplit mon verre d’un petit vin blanc fruité et frais qu’il sort du seau de glace. Les autres convives de ce restaurant bien parisien nous regardent curieusement.

Voici donc, à côté de mot, le prince Michkine de L'Idiot, le romantique Fabrice del Dongo de La Chartreuse de Parme, l’amoureux passionné du Diable au Corps, tous ces personnages prestigieux qui ont hanté mes nuits au retour de mes soirées au cinéma.

Il est beau, fin, romantique et moderne à la fois, comme à l’écran. Il est simple comme un grand garçon qui ne saurait pas qu'il a du génie.

Gérard expédie la fin de son repas pour être fidèle à son engagement.

Nous frétons un taxi et nous voilà partis. D’abord, Gérard Philipe ne dit rien. J’aime les garçons qui ne se croient pas toujours obligés de parler. Le silence de deux êtres qui sympathisent contient tellement de choses...

Et puis il se rappelle subitement qu’on va probablement lui demander de chanter à ce gala. Car il a chanté "Sainte Catherine" l'autre jour, à la radio, et il a obtenu un véritable triomphe. Il repasse à mi-voix tous les couplets de la vieille chanson et il rit aux passages drôles. Quel grand gosse spontané !

Un peu après, nous arrivions au théâtre. L’arrivée de Gérard Philipe soulève des remous. On interrompt le spectacle, on l’annonce, et c'est aussitôt un délire, un ouragan d'’applaudissements.

Gérard Philipe ne m’appartient plus. Il enjamba la rampe en sportif et le voilà sous le feu des projecteurs devant un public debout qui l’acclame. Il rit de toutes ses dents, fait quelques pitreries, ne se prend pas au sérieux. Il est charmant ! » (Micky, Cinémonde, 21 février 1949.)

 

On peut entendre ici la chanson Sainte Catherine interprétée par Charles Trenet.

 

Illustration : tirée de Cinémonde du 21 février 1949 (exemplaire personnel).

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