1959 – Gérard Philipe, "vedette au microscope"

Gérard Philipe durant le tournage de "La meilleure part" photographie de Sam Lévin (c) MAP

 

En 1959, alors qu’il joue Les Caprices de Marianne au Palais de Chaillot avec le Théâtre National Populaire, Gérard Philipe répond à un questionnaire sur sa carrière, ses goûts, son métier, ses envies, etc.

Outre des éléments rarement exposés sur sa vie quotidienne et certains de ses goûts, on y apprend également que Gérard Philipe devait jouer le rôle de Gulliver dans une adaptation du roman de Jonathan Swift pour la télévision (ce qui aurait été une grande première pour le comédien), et qu’il devait participer à Babette s’en va en guerre de Christian-Jaque, avec Brigitte Bardot. Ce film sortit en septembre 1959, et Jacques Charrier incarna finalement le lieutenant Gérard de Crécy-Lozère…

Les questions sont lapidaires ; les réponses ne le sont pas moins. Si Gérard Philipe joue le jeu, ce n’est pas pour autant qu’il se dévoile réellement à son interlocuteur. Sans doute a-t-il aussi été surpris par des questions qui partent dans tous les sens, sans réelle logique ni fil conducteur. Plus étonnante, la question portant sur le strip-tease ! (Était-ce alors un sujet d’actualité ou de polémique ?)

Vedettes au microscope
 

En 1961, ces réponses sont publiées, « in memoriam », en fin d’un mince volume publié par Jacques Baroche et préfacé par une note autographe de Jean Cocteau : Vedettes au microscope. Il en est tiré 3000 exemplaires chez Contact Éditions. Françoise Arnoul, Brigitte Bardot, Martine Carol, Edwige Feuillère, Annie Girardot, Jeanne Moreau, Michèle Morgan, Fernandel, Daniel Gélin, Robert Hossein, Jean Marais, Felix Marten et François Périer y répondent aussi à peu ou prou les mêmes questions. Cependant celles-ci sont plus homogènes, attestant que le questionnaire auquel a répondu Gérard Philipe est un peu plus éloigné dans le temps… Mais toutes ces vedettes ont droit à la question sur le strip-tease !

Voici de larges extraits des réponses de Gérard Philipe :

 

« (...)

Êtes-vous optimiste ?

Je le deviens, face aux situations inextricables, embrouillées ou angoissantes.

Êtes-vous superstitieux ?

Oui, comme beaucoup de comédiens.

Quel est votre signe du Zodiaque ?

Sagittaire.

Qu'est-ce que vous détestez ?

La mauvaise foi.

Quels sujets, quels spectacles vous irritent particulièrement ?

Aucun sujet, mais le spectacle de la mollesse.

Êtes-vous sensible à la publicité ?

Elle est nécessaire.

Aimez-vous les mondanités ?

En général, non. Mais, de temps à autre, nous aimons bien, ma femme et moi, découvrir le monde particulier des "premières" parisiennes.

Aimez-vous mieux être en tenue de sport, ville, soir ?

Cela dépend des circonstances. Quand je fais du footing, j'aime être en tenue de sport ; quand je circule dans Paris, en tenue de ville, et quand je suis invité à un gala, en habit.

Quels sont vos loisirs ?

À Avignon, au cours du Festival du T.N.P. on joue au football. À Paris, lorsque j'ai une heure à perdre, j'en profite pour me détendre, par des séances de marche accélérée, et je m'en trouve très bien.

Votre programme dominical ?

En dehors du dimanche T.N.P. (palais de Chaillot), c'est toute la journée à la campagne, et souvent consacrée au courrier auquel je n'ai pu répondre dans la semaine.

Quelle campagne ?

Dans la région de Pontoise, j'ai une maison où j'aime à passer mes week-ends, afin de respirer et me désintoxiquer du théâtre et du cinéma, sans lesquels je ne saurais vivre.

En littérature, êtes-vous à la page ? Qu'aimez-vous lire ou relire ?

Je ne suis pas l'actualité. J'en suis à découvrir Roger Martin du Gard. Mais j'aime toujours bien Balzac.

Vous qui êtes l'admirable interprète de nos plus grands poètes, avez-vous écrit des vers ?

Jamais. Et, d'ailleurs, après Corneille, Hugo, Musset...

Êtes-vous musicien ?

Un peu. Je passe, suivant les âges, de Bach à Mozart et de Moussorgski à Ravel.

Êtes-vous connaisseur en art ?

Euh...

Vous intéressez-vous à l’ameublement ?

J'aime les meubles chinois.

Quels sports pratiquez-vous ?

Je nage... quand l'eau n'est pas trop froide et je fais du cheval... au cinéma.

Quelles manifestations sportives vous attirent ?

Beaucoup, et selon les pays : à New York, le base-ball ; au Brésil, le football (parce qu'ils se cassent la g[ueule] sur le terrain) ; à Mexico les courses de taureaux ; au Japon, le judo ; au Maroc, les conteurs sur la place publique; en France, le Tour de France.

Quelle est votre première qualité ?

L'orgueil.

Votre principal défaut ?

L'orgueil.

Êtes-vous soucieux de votre état de santé ? Voyez-vous souvent votre médecin ?

Je le consulte quand je suis malade. Je ne suis guère du genre "médicament".

Êtes-vous timide en certaines circonstances ?

Je suis timide, mais ne me demandez pas en quelles circonstances.

Enviez-vous la destinée de certains personnages ?

Oui. Par exemple, les grands chercheurs scientifiques.

Quels sont les désirs que vous n'avez pas encore réalisés ?

Une croisière au îles helléniques. Un voyage aux Indes. Une tournée en Israël.

Quelle est la plus belle période de votre existence ?

Il y en a plusieurs. Sur le plan "travail", la période de préparation d'un rôle, auprès de bons metteurs en scène, comme [René] Clément, [Jacques] Becker, Yves Allégret, [Jean] Vilar, etc.

Avez-vous peur de la mort ?

Hé, oui !...

Avez-vous des marottes, des tics ?

Des marottes, je ne crois pas, mais, à la réflexion, un tic : le frottement de la base du nez avec la première phalange de l'index : signe de nervosité ou de perplexité.

Avez-vous des complexes ?

Des tas...

Faites-vous une collection ?

J'aime les beaux livres.

Fumez-vous ?

Oui, depuis Les Caprices de Marianne, je me suis mis à fumer la pipe.

Avez-vous de l'à-propos ? Savez-vous tirer parti d'une conjoncture imprévue ?

Quand je ne suis pas fatigué.

(...)

De quelle manière se manifeste votre nervosité ?

Souvent par l'insolence.

(...)

Êtes-vous gourmand ? Votre plat préféré ?

La daube Provençale.

Aimez-vous le bon vin ?

Je ne suis pas un connaisseur. Disons un amateur.

Avez-vous un violon d'Ingres ?

Aucun.

Quelle profession auriez-vous exercée si vous n'aviez pas été comédien ?

Si possible, une profession tournée vers la recherche scientifique.

(...)

Quels sont vos rôles préférés ?

Je m'efforce de changer.

(...)

Parlez de votre rôle actuel ?

Au T.N.P., Octave dans Les Caprices de Marianne, la désinvolture triste d'un débauché romantique.

Apprenez-vous rapidement vos rôles ?

Je m'imprègne de mon personnage longtemps à l'avance.

Que pensez-vous du mariage entre comédiens ?

Il est parfois réussi.

Que pensez-vous du baiser à l'écran ?

Il est souvent agréable à voir, et toujours à donner.

Aimez-vous la télévision ?

J'aime les belles émissions, et la TV française est la meilleure du monde grâce à quelques-unes des émissions en direct.

Vous y produisez-vous parfois ?

Oui. Je vais être Gulliver, dans Les Voyages de Gulliver.

Quelle voiture conduisez-vous ?

D.S. 19.

Y a-t-il une science qui vous passionne ?

Les sciences naturelles.

Voudriez-vous être un des passagers de la fusée lunaire ?

Je ne sais pas. J'hésiterais. Je voudrais être assuré de revenir ici-bas.

Votre opinion sur le strip-tease ?

Je le trouve très révélateur des inhibitions que l'on remarque de plus en plus chez l'homme moderne. Et j'en aime moi-même souvent le spectacle.

Appréciez-vous les spectacles violents, combats de boxe, course de taureaux ?

Oui, la corrida mexicaine.

Quelle est l'infirmité qui vous paraît Ia plus pénible ?

Ça dépend des métiers : manchot pour un pianiste, cul-de-jatte pour une danseuse, aveugle pour un peintre, paralytique pour un comédien.

Quelles qualités appréciez-vous chez une femme ?

Tendresse, générosité, lucidité.

Quels défauts vous semblent les plus haïssables ?

Exactement l'inverse.

Quelles sont les qualités du parfait comédien ?

Seulement trois. La détente, la respiration, l'intelligence de son métier.

Quelle est votre type de femme préféré ?

Cela dépend des jours. D'ailleurs, les silhouettes gracieuses, les beaux visages, vous sautent à la figure sans qu'on y prenne grade, dans la rue, ou au milieu d'une foule.

Qu'aimez-vous faire à Paris ?

Me promener.

Quel monument, quel établissement vous attirent davantage ?

Le Palais de Chaillot !

Quels sont vos projets ?

Théâtre : au T. N. P., On ne badine pas avec l'amour (mis en scène par René Clair), Lorenzaccio. Cinéma : La Fièvre Monte à El Pao, avec Maria Felix ; Babette s'en va en guerre, avec B. B. »

 

Ajoutons que :

·        Gérard Philipe a enregistré deux faces de 78t avec des extraits de Balzac, qu’il professe « bien aimer ».

·        Il « collectionne les beaux livres » depuis longtemps, comme en témoignent des reportages de la fin des années 1940 réalisés dans ses domiciles successifs.

·        L’orgueil est un défaut/qualité sur lequel il s’est déjà exprimé lors d’une interview accordée à Paris Inter dans l’émission Rendez-vous à cinq heures, le 4 juillet 1953, et qu’il illustrera de manière primesautière dans son sketch des 7 péchés capitaux.

·        Football : Gérard Philipe fut le gardien de but attitré du TNP lors des rencontres entre l’équipe du TNP et l’équipe d’Avignon. Il donna également le coup d’envoi, à Moscou, d’un match France-URSS en 1955.

 

Illustration : Sam Lévin : Gérard Philipe durant le tournage de La Meilleure Part (été 1955) © MAP

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