Ce
Soir, journal d’obédience
communiste dirigé par Louis Aragon (officiellement) et Jean-Richard Bloch (dans
les faits) rend compte du « Week-end de Suresnes » qui marque les
débuts du TNP, en s’appesantissant sur le concert présenté par Gérard Philipe,
le 17 novembre 1951 après-midi, et la séance publique de questions-réponses du
lendemain.
APRÈS LE "PETIT FESTIVAL" EN PASSANT PAR SURESNES… nous avons rencontré le Théâtre
SURESNES vient de vivre deux journées mémorables.
Transformées en parc à voiture, les rues de la Cité-Jardin rappelaient le centre de Paris, les soirs de Gala à l’Opéra. Le « 144 » à cadence rapide, déversait sur le pavé suresnois de pleines fournées de Parisiens : le Tout-Paris s’était donné rendez-vous à Suresnes.
Au théâtre, où 1.400 spectateurs avaient trouvé place, pas une rangée de fauteuils qui ne comptait son personnage célèbre. On découvrait, au hasard de la foule, les visages de René Clair, Armand Salacrou, Françoise Rosay, Roger Désormières, Paul Eluard, Louis Aragon, P.-A. Touchard, Dusane [Dussane ?], Jean Marais, Jean Cocteau, Marcel Aymé, Paul Claudel, Georges Neveux, Yvonne de Bray, etc., etc.
Tout cela composait une foule fervente et heureuse. La bonne humeur était à l’ordre du jour. Gérard Philipe donnait le ton en s’acquittant avec une charmante simplicité de sa tâche d’« annonceur » pendant le concert de musique contemporaine. Son numéro improvisé de déménageur de pupitres (partenaire Maurice Chevalier) mit la salle en joie.
Au premier repas, le nombre des convives dépassa toutes les espérances du T. N. P. qui ne croyait pas ses modestes agapes promises à un tel succès. Ce fut l’occasion d’un joyeux chahut. Les lampions furent scandés à fort renforts de couverts.
— Henri, ne te laisse pas abattre ! criait à son collègue médusé un garçon en veste blanche.
Au reste, personne n’attacha, ce soir-là, la moindre importance aux nourritures terrestres.
Revenu dans la salle, le public fut accueilli par un beau morceau d’éloquence. Président de la Cité-Jardin, M. Grunebaum-Ballin tenait à placer son mot (non prévu au programme). Ce mot se révéla bientôt un discours-fleuve. Du moins eut-il l’avantage d’enseigner le sens de la locution intra muros à ceux qui, par malchance, l’auraient encore ignoré.
Mais passons aux choses sérieuses, c’est-à-dire au Cid. Jamais on n’avait vu un Rodrigue plus vivant. Balayant des siècles de conventions poussiéreuses, de diction redondante, Gérard Philipe nous a rendu un héros perdu. Pour avoir fait de Rodrigue un homme d’aujourd’hui, il a mille fois mérité les tonnerres d’applaudissements qui saluèrent chacune de ses sorties.
Artisan de ce spectacle inoubliable, Jean Vilar ne fut pas moins acclamé. On goûta beaucoup la bonhomie de son annonce : Mesdames, Messieurs…, commença-t-il. Se souvenant brusquement qu’une « Excellence » se trouvait dans la salle, Monsieur le ministre, reprit-il sans se démonter le moins du monde.
Et, poursuivant tranquillement, Vilar fit applaudir, avec le nom de Léon Gischin (sic), auteur des costumes, celui de l’auteur du texte. Tout comme si le grand Corneille se trouvait parmi nous. Au fait, samedi soir, Corneille était plus vivant que jamais.
La journée de dimanche débuta dès patron-minet (sic) avec la conférence dialoguée entre les comédiens et le public.
Vilar avait compté sur 500 entrées, le T. N. P. en enregistra 832.
Le public (où dominait la jeunesse : étudiants et délégués syndicaux) posa 100 questions.
Celles-ci entre autres. A Jean Vilar :
— Pourquoi avez-vous choisi Le Cid ?
— Parce que c’est, chronologiquement, la première pièce en langue française moderne. Parce que je la considère (à tort ou à raison) comme actuelle.
A Gérard Philipe :
— Pourquoi jouez-vous Le Cid comme si la pièce avait été écrite la veille ?
— Parce qu’un jeune homme d’aujourd’hui qui aurait tué le père de sa fiancée réagirait exactement de la même façon.
Gischin (sic) fut amené à s’expliquer sur son rôle de décorateur. «Chez Vilar, dit-il, il n’y a ni décorateur, ni metteur en scène, ni comédiens : il y a un spectacle. »
L’après-midi, Mère Courage consacra le triomphe du Festival. Ardent et généreux plaidoyer en faveur de la Paix, le chef-d’œuvre de Bertold Brecht fut porté aux nues. On fit une ovation à Germaine Montéro (sic). Triomphant d’un rôle écrasant, elle se montra aussi émouvante que puissance comédienne. Mais cela, on le savait déjà.
Exténués par tant d’efforts répétés, les comédiens du T. N. P. trouvèrent encore la force de participer au bal de clôture. Souriant et détendu, Gérard Philipe, en dansant beaucoup, fit beaucoup d’heureuses…
Marcel FRERE
Ce Soir, 21 novembre 1951. (en Une)
Photographie © Bibliothèque nationale de France
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