1951 – Gérard Philipe tourne Fanfan la Tulipe : accidents en série (2)

 Fanfan la Tulipe : Gérard Philipe et Christian-Jaque (photo de Sam Lévin © MAP)

Comme on l’a vu précédemment, le tournage a été arrêté une quinzaine de jours, en raison d’accidents divers et variés sur le tournage : leur énumération et leur gravité varient d’ailleurs selon les reportages… On rapporte ainsi en novembre, alors que le tournage est momentanément à l’arrêt que :

 

« […] [Olivier]Hussenot s’est brisé l’épaule en tombant de cheval. Le futur film de Christian -Jaque avait déjà multiplié ses victimes : Gérard Philipe (poignet cassé), Noël Roquevert (dépression nerveuse), Nerio Bernardi (chute de cheval), Gina Lollobrigida (nez tuméfié) et Gil Delamare (bras ouvert). Christian -Jaque, dégoûté, s'est alité avec une forte grippe. » (Paris-presse, L’Intransigeant, 13 novembre 1951)

 

Cet entrefilet est bien ironique dans cette énumération de catastrophes. Mais c’est Nerio Bernardi qui s’est cassé le poignet en tombant de cheval et non Gérard Philipe… qui se serait blessé à la main (transpercée ?) et au front lors d’un duel, et qui se serait probablement luxé les côtes lors d’une chute.

Quant à Noël Roquevert, il fut immobilisé jusqu’en mars 1952 par un « épanchement de synovie », inflammation des articulations déclenché par les duels acharnés… contre son fougueux adversaire (Combat, 13 février 1952).

 

Gérard Philipe répéte un combat (photo de Sam Lévin © MAP)

Si les combats au sabre ne sont pas exempts de dangers (voir un reportage sur le duel de Fanfan contre les brigands ICI), la nature peut se montrer aussi hostile :

            Les taons ont lancé leurs commandos de choc contre "Fanfan la Tulipe".

« Les extérieurs de ce film étaient tournés au flanc d’une âpre et rocailleuse montagne de l’arrière-pays de Grasse.

Un des plans les plus sensationnels montrait sur un sentier vertigineux un carrosse dans lequel se prélassaient deux grandes dames, Mme de Pompadour (Geneviève Page) et Sylvie Pelayo, vêtues l’une et l’autre de somptueuses robes du style Louis XV. […] Il faisait un temps très orageux et les chevaux attiraient les taons.

Si bien que Sylvie Pelayo et Geneviève Page, dévorées par ces insectes, ne purent tourner la scène. Il fallut aller chercher des médicaments à Grasse. Tous les acteurs et techniciens durent également se soigner et, tandis que Sylvie et Geneviève se grattaient à qui mieux mieux sous leurs somptueux atours, on voyait Noël Roquevert, le spadassin, faire avec son sabre de terribles moulinets pour éloigner de lui ces calamités bourdonnantes. […] » (Jean Durkheim, Ce Soir, 27 septembre 1951)

 

Fanfan la Tulipe : Gina Lollobrigida (photo de Sam Lévin © MAP)

La pauvre Gina Lollobrigida, après avoir supposément « manqué de s’évanouir » quand on lui perçait les oreilles, a souffert d’une chute bien plus conséquente lors de l’enlèvement d’Adeline dans le couvent :

« Nouvel accident de tournage [...] : Gina Lollobrigida [...] s'est cassé le nez en tombant des épaules d'un figurant sur lesquelles elle s'était juchée pour les besoins de la cause. » (Paris-presse, L’Intransigeant, 19 octobre 1951)

Aidée par Christian-Jaque, elle raconte d’ailleurs avec humour sa rencontre avec un matériau bien plus dur qu’elle :

« […] Gina s’est trouvée nez à nez — c’est le cas de le dire — avec la malchance.

Il ne s'agit pas précisément de... conflagration avec des banditi ou des poliziotti, m’explique-t-elle avec son accent chantant. Et pourtant, il y a eu, comme on dit chez vous., agrestioné. commotionné...

Agression, commotion. Compris ! Et l’agresseur, naturellement, sera poursuivi ?

— Impossible.

On ne l’a pas arrêté ?  

— Pas besoin : il n'a pas bougé de place. Il ne pouvait pas. C'était ce que, dans votre argot, je crois, on appelle un "dur". Un "dur" comme du bois. D'ailleurs, c'était une poutre...

Mais Christian-Jaque, le metteur en scène, intervient : il a besoin de Gina pour un "raccord".

— Je vais tout vous dire, ça ira plus vite. Donc, nous étions à Sospel. Quel souvenir ! Une dizaine de mes artistes en tête desquels Gina, Gérard Philippe (sic), Rocquevert (sic), Max Marty, tous accidentés. Obligé d'interrompre mes prises de vues pendant une quinzaine. (Bon ! voilà que je me lance aussi dans le détail.) Votre interviewée, dans le film, devait être enlevée par... mettons : un fil, pour ne pas prononcer le mot fatidique qui porte malheur sur un plateau de studio comme sur scène. On répète une fois, deux fois, six fois. Enfin, ça va : on peut tourner. Lumière ! Silence ! On tourne ! Le moteur ronfle et je commande : "Allez-y !" Ils y sont allés, mais un peu fort. Le mécanisme de l'enlèvement, déréglé on ne sait comment, tourné à faux, et voilà ma jolie vedette qui s'envole et va donner du visage contre une poutre ! Ça n'a été qu'un cri, dans le studio. Je revois encore la pauvre petite, étendue sur le sol, baignant dans son sang...

Évanouie, naturellement ?

— Attendez : pas tout de suite. Le front, le nez, la bouche horriblement tuméfiés, elle nous rassurait gentiment, stoïque, et, quand on l’eut relevée, elle nous considérait d'un œil rond et proposait déjà : "Alors, on recommence ?" Notre silence l'inquiéta. "Donnez-moi un miroir !" J'intervins : "Non, non. Pas de miroir !" Mais, déjà, un figurant lui en apportait un et Gina s'y regardait. Elle poussa un cri inhumain et s'abattit sur le plancher : cette fois, elle avait perdu connaissance. Fort heureusement, la chirurgie esthétique fait des merveilles. Quelques jours plus tard, Gina pouvait reprendre son rôle dans la terrible scène pour laquelle on redoubla de précautions.

— Espérons que ça ne vous arrivera jamais plus, souhaite un artiste qui nous écoute. — Sûrement pas ! tranche-t-elle, péremptoire.

— Malheureuse ! intervient Jaque le fataliste. Il ne faut pas narguer le destin. Vite, touchez du bois...

— Vous croyez que je n'en ai pas assez "touché" comme ça ? blague Lolla Brigida (sic), d’un ton ironique. » (Jean Kolb, Qui ? : le magazine de l'énigme et de l'aventure, 31 décembre 1951)

 

Ces accidents ont aussi leurs conséquences inattendues !

« Le comédien Olivier Hussenot et sa jeune femme ont inventé un style conjugal de conduite automobile. L’épaule droite fracturée, Olivier Hussenot est revenu de Grasse en tenant son volant de la main gauche tandis que sa femme — dont la science automobile n'excède pas ce stade — passait les vitesses à son commandement. » (Paris-presse, L’Intransigeant, 13 novembre 1951)

 

Au lieu de durer 13  semaines, le film sera tourné en 16 !

 À suivre…

 

Illustrations : photographies de plateau de Sam Lévin : Gérard Philipe avec Christian-Jaque ; répétition d’un combat avec Gérard Philipe ; Gina Lollobrigida se refait une beauté (© MAP)

 

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