1951 – Valentin le Désossé, le Grand Meaulnes, personnages mort-nés...

 Gérard Philipe, d'après une photographie de Thérèse Le Prat (1951)

En 1951, choix et refus permettent à Gérard Philipe d’espérer modeler sa carrière ; il souhaite ainsi ne pas « baigner dans une auréole de romantisme attardé ». Le futur lui donnera en partie tort, et la postérité tranchera aussi. Pour l’heure, cette volonté s’exprime ouvertement dans un entretien, lequel revient également sur sa perception de l’opinion publique modelée par les média et sur l’importance de la critique pour le comédien.

Cette interview de Gérard Philipe par Bob Bergut est parue dans L'Écran Français du 16 mai 1951.

 

« Quelle est votre définition de l'acteur de cinéma et de l'acteur de théâtre ? Vous connaissez sans doute le mot d'André Luguet : « On n'est pas acteur de théâtre, de cinéma ou de radio : on est acteur tout court ! »

Gérard Philipe : Il y a des acteurs de théâtre qui ne sont pas de cinéma et vice-versa. Je crois que cela consiste dans la différence de souffle... le souffle de l'acteur de théâtre devant être plus large que celui de l'acteur de cinéma. Je suppose qu'il est plus facile pour un comédien doué d'être acteur de cinéma qu'acteur de théâtre, le théâtre exigeant cette largeur qui ne peut être acquise que par le développement du souffle dont je parlais tout à l'heure... Relisez-moi tout cela pour voir si tout se tient... Je n'ai jamais si bien parlé !

Accepteriez-vous un petit rôle si...

J'ai accepté un petit rôle dans le prochain film de Rossellini.

Petit rôle ?

Oui. Petit quant aux jours de tournage. Important si vous voulez par ce qu'il apporte de nouveau.

L'image de Gérard Philipe vue par certains journaux n'est pas conforme à la réalité et...

Je ne reproche rien aux faiseurs de ragots. Libre à eux de s'amuser et d'inventer. Je ne pense pas que cela puisse nuire à qui que ce soit, la preuve en est bien que vous-même ne croyez pas à cette image créée par ces journaux.

Chacun dissimule un personnage chimérique. Quel est ou quels sont les vôtres ?

Je ne possède pas de personnage de rêve, mais bien deux personnages possibles, mais impossibles aussi. "Valentin le désossé" coûterait trop cher et "Till Eulenspiegel" est jugé trop séditieux par les producteurs français bien que l'idée soit tirée d'un roman de 1830. La Belgique, par contre, semble s'y intéresser...

... et "Le Grand Meaulnes" ?

J'ai refusé. Je pense que le roman se suffit à lui-même d'une part. D'autre part, je ne veux pas baigner dans une auréole de romantisme attardé.

Notre profession ne donne pas souvent le droit de réplique à l'acteur. Nous pouvons nous tromper et vous avoir quelque peu malmené. C'est le moment de redresser la critique...

C'est la première fois que j'entends une pareille proposition. Je n'en reviens pas...

... mais...

Je me permets d'insister pour que vous le notiez. C'est la première fois qu'un journal me fait une telle proposition. Je ne vois pas de critique à redresser... S'il y a quelques phrases qui peuvent me toucher, elles sont justes - quoi dire après cela- ou elles sont fausses, et je me dis que la critique immédiate n'est pas la plus importante, ou encore je me dis qu'il est aussi possible que tout ce que je crois soit vrai. »

 

Le projet de film Paris chahute au gaz, dans lequel Gérard Philipe aurait dû incarner Valentin le Désossé, ne se fera finalement pas. Il avait été annoncé, entre autres, dans un entrefilet paru dans L’Aurore du 20 juillet 1948 et le tournage aurait dû se faire après celui de Tous les chemins mènent à Rome… Valentin le Désossé apparaîtra finalement dans le film de John Huston Moulin Rouge (1952) et, en France, dans celui de French Cancan de Jean Renoir (1955) sous le nom de Casimir le Serpentin : il sera alors joué par Philipe Clay.

Gérard Philipe aurait dû jouer dans Europe 51 de Rossellini face à Ingrid Bergman, mais il fut finalement remplacé par Alexander Knox. Ce projet aurait échoué, si l’on en croit un échotier de Paris-presse, L’Intransigeant du 2 octobre 1951, parce que « Gérard Philipe trouvait le scénario trop anticommuniste »… raison alléguée qui n’est sans doute qu’une attaque contre les prises de positions politiques si affirmées du comédien. Le même quotidien affirmait pourtant, le 30 mars 1951 :

« Rossellini arrive aujourd’hui à Paris pour tourner un film avec Gérard Philipe qui l’ignorait hier encore. Le contrat n’est pas signé, cependant les prises de vues devraient commencer immédiatement. Gérard Philipe étant pris, à partir du 1er juin, par la préparation du Festival d’Avignon où il incarnera le Cid dans la présentation de Jean Vilar. »

On trouvera un excellent récapitulatif de la genèse de Till l’Espiègle dans l’article de Camille Beaujeault, « Genèse d’une œuvre : Les Aventures de Till l’Espiègle ou l’épopée "im"populaire de Gérard Philipe », 1895. Mille huit cent quatre-vingt-quinze. (Article disponible en ligne.)

 

Illustration : d’après un portrait photographique de Thérèse Le Prat, 1951 © MAP.

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