1954 – Une boisson inattendue pour le Cid de Montréal !

Agenda très chargé à Montréal pour la troupe du TNT, qui présente au théâtre Saint-Denis, du 11 au 22 septembre 1954, Le Cid, Dom Juan, L'Avare et Ruy Blas. En dehors des représentations, certains membres de la troupe sont interviewés, dès leur arrivée, à la radio CKCV (Sylvia Montfort, Gérard Philipe et le québécois Guy Provost). Jean Vilar et ses comédiens sont également conviés à une réception par l'Union des Artistes. L'édition du 2 octobre 1954 de Radiomonde et Télémonde s'en fait un très large écho :

 

 Gérard Philipe lors d'un cocktail à Montréal en 1954 

Légende de la photo : A LA RÉCEPTION OFFERTE PAR L’UNION AU T.N.P .: Janine Fluet et Réjeane Hamel semblent aux anges d’être en présence de Gérard Philippe... mais cœur d'artichaut le beau Cid détourne les yeux et porte ailleurs ses regards !

 

Dans « la chronique de mimi d'estée », on apprend que

 « PAR LA GRACE DE MADAME MIA RIDDEZ, sa fondatrice, le "Foyer des artistes" recevait mercredi la compagnie JEAN VILAR. C'était la première manifestation sociale et amicale de notre gente artistique. Jusqu'ici quand un LOUIS JOUVET ou une MADELEINE RENAULT venaient dans nos murs, les marchands de vins, de chaussettes ou de cacahuètes de la métropole trouvaient toujours le moyen d'offrir aux illustres visiteurs : une coiffure indienne en plumes de coq ou des mocassins en peau de toutou.

LOUIS BELANGER le président de l'Union des artistes de Montréal pour rompre avec la tradition, offrit au nom de ses camarades une carte d'invitation gravée sur cuivre où revenaient les mots "amitié, fraternité". (...)

***

JEAN VILAR remercia par un petit discours qui devrait devenir le crédo (sic) des acteurs canadiens de théâtre, de radio ou de télévision : "Jouez vos auteurs canadiens, si vous voulez avoir un jour un théâtre canadien". Et par théâtre, il ne voulait pas dire l'immeuble, la bâtisse, il entendait un théâtre d'expression canadienne.

Jouons nos auteurs, en tranche de vie, en sketches ou en trois actes, mais jouons-les !

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GOÛTS ET COULEURS. On pourrait croire que tous les Français se réclament de la vigne et du froment. Je ne sais pas si GÉRARD PHILIPPE (sic) mange du pain, mais ce que je sais bien c'est qu'il ne boit pas de vin. C'est ce qu'on vit à la réception, au grand ébahissement du garçon qui lui demandait ce qu'il voulait boire comme coquetel, Philippe (sic) répondit "un grand verre de lait"... (Je le reconnu (sic) comme frère.) (....) »

 

La rubrique De-ci, de-çà... par-ci, par-là, Couci-couça par la Pt'ite du Populo relate en détail l'affluence des artistes pour ce cocktail de l'Union des Artistes :


« Jean Vilar a répondu aux allocutions (...) de façon pertinente.

Certains se sont offusqués de ses propos. Et je me suis demandée pourquoi, il le faisait.

M. Vilar, homme de théâtre ne pouvait tout de même pas vanter les mérites du Canada français et de Montréal deuxième ville française du monde (ne possédant pas de salle de spectacle en propre) pour l'effort théâtral de ses gouvernants ! Il aurait frisé le ridicule. Que vouliez-vous qu'il nous dise alors ??? Prenant conscience de la jeunesse extrême de notre pays (...) il a tout simplement dit : "... que le manque de tradition chez nous, pouvait être une force ! Que si rien encore n'avait été fait, en littérature théâtrale par exemple, nos jeunes auteurs ne risquaient pas de se voir continuellement mis en comparaison avec leurs aînés. (...)"

Où était donc le crime, caché sous ces phrases ??? À peine, selon moi, pouvait-on reprocher à Monsieur Vilar, de ne pas savoir qu'ici aussi on joue aux petits jeux des comparaisons. Et qu'un jeune auteur se voit souvent rapproché de ses aînés français... surtout en ce qui a trait aux contemporains.

Ceci posé, je ne vois rien qui pouvait blesser la susceptibilité, toujours tellement à vif, des artistes canadiens.

Nous n'avons rien, ou presque rien au point de vue théâtre, à Montréal. Nous nous plaisons à le crier sur les toits. Or parce qu'un Français est de notre avis [à] nous, cela met le feu aux poudrières dans certains groupes. (...)

***

... En marge de cette fête, et pour dire une fois encore que les idoles font mieux de rester dans leur niche, que de se mêler aux humains, Gérard Philippe (sic) homme a déçu bien des belles. C'est qu'elles croyaient retrouver à la ville, "Fanfan Latulipe (sic)" et le "Cid" qu'elles avaient applaudi sur l'écran et à la scène.

Or, Philippe (sic) dans la vie courante, est un être éthéré, qui n'a jamais l'air d'être complétement avec les gens qui l'entourent.

Par ailleurs, le comique [Daniel] Sorano a conquis tout le monde, et le beau [Jean] Deschamps a troublé bien des jeunes cœurs. Section féminine, Sylvia Montfort a paru à tous une fille très intelligence, s'habillant avec beaucoup de goûts. (Savait-on qu'elle était l'auteur de trois bouquins traitant de psychologie ?) et Zanie Campan a été entourée du début à la fin de la soirée par tout un essaim d'hommes attiré vers elle, autant par la profondeur de son regard que par celui de son décolleté ! (...) »

 

Apparemment peu porté sur les mondanités, Gérard Philipe semble avoir été « ailleurs » ! A moins que le rythme fou de cette tournée québécoise n’ait déjà pesé… Mais son régime lacté semble avoir impressionné les Québécois : un journaliste du Petit Journal (12 décembre 1954) affirmera encore : « Gérard Philipe nous avait prouvé qu'on pouvait être Français et sobre » ! Les clichés ont la vie dure...

 

Photographie © Bibliothèque et archives nationales du Québec.

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