En 1951, Gérard Philipe participe à une série de douze émissions radiophoniques consacrées au parcours du réalisateur René Clair. Produites par deux amis de René Clair, les journalistes spécialisés dans le cinéma Georges Charensol et Roger Régent, elles sont réalisées par Jean Wilfrid Garrett. Avec le comédien François Périer, Gérard Philipe est celui qui intervient le plus dans les interstices du discours du cinéaste.
Cependant Gérard Philipe n’intervient pas en tant que commentateur. Il n’est ici qu’une voix qui transmet aux auditeurs les propos de René Clair lui-même (textes divers comme de la poésie ou des tribunes), ou bien se fait le porte-parole des comptes rendus de presse.
Cette participation atteste de l’estime et de l’amitié des deux hommes. Devenu intime de Gérard Philipe et de sa future épouse, le couple Clair sera seul présent et témoin de mariage des Philipe en novembre 1951. Clair et Philipe avaient approfondi leurs relations lors du tournage de La beauté du diable ; tournage qui avait assez mal commencé – tout comme leur prise de contact initiale qui s’était achevée par un « petit con ! » proféré par le réalisateur à son futur acteur…
Ainsi, René Clair est-il, non seulement un ami pour Gérard Philipe, mais aussi un mentor, et, semble-t-il, presque un père de substitution. Sans doute un modèle. Il n’est pas anodin que Philipe incarne ici le réalisateur, se glissant dans ses mots et lui prêtant sa voix lors d'un débat sur la forme du cinéma, dans lequel François Périer endosser le rôle de Marcel Pagnol...) Forme de confiance pour l’un ; témoignage d’admiration pour l’autre.
L'admiration de Philipe pour Clair se manifeste souvent dans ses interviews. On la retrouve, vivement exprimée, dans un beau texte écrit par le comédien, Lettre à René Clair pour son soixantième anniversaire :
« J’avais promis, René, de livrer un bouquet de souvenirs et de réflexions et de contribuer ainsi à fleurir votre bureau, à vous faire savoir que l’on cherche à vous accabler d’affections. J’avais résolu d’évoquer votre démarche d’esprit, votre façon de tordre le vide, de dire l’acharnement que vous avez à épuiser un sujet jusqu’à ce qu’il ait donné le mieux de lui-même et comment par déduction et balayant les fausses bonnes idées vous laissez place nette à l’inspiration, à la liberté d’esprit.
(…) Évoquer l’amitié telle que vous savez la porter, j’avais pensé que c’était affaire entre vous et vos amis.
Vous situer à la jonction entre le classicisme et la palpitation romantique, voilà qui était affaire entre vous et l’histoire du cinéma.
Puis c’est votre amour des lettres que je voulais signaler (…).
Mais sur la page blanche, ce qui s’inscrivit concernait votre cœur. Et j’avais beau lui souffler : goût, lucidité, politesse, rigueur, honnêteté, talent, c’est sensibilité qu’elle a marqué. Ma fois, me suis-je dit, quelle plus belle fleur apporter sur votre bureau à la veille de votre prochain film ? » (Paru dans Les Lettres françaises du 15 novembre 1958, cet hommage a été repris dans Gérard Philipe par Georges Sadoul, Éditions Seghers, 1967.)
Sensibilité aussi de l’acteur qui se fait ici écrivain – et dont la musique est ici pleinement jumelle de celle dont son épouse, l’autrice Anne Philipe, témoignera dans son œuvre ; sensibilité qui s’accorde à son réalisateur, metteur en scène (pour On ne badine pas avec l’amour au TNP) et ami.
L’une des interventions de Gérard Philipe, sa lecture du poème Oh mon Paris de René Clair, a été incluse dans la sélection présentée dans le 33t Archives phonographiques Les voix de notre temps 2 - Gérard Philipe (label Vega-Union, 1960).
Si l’on peut regretter l’absence de retour des comédiens sur leurs participations aux films de René Clair, on apprend que, pour La beauté du diable, « Gérard Philipe s’est adapté sans problème à son personnage », tandis qu’il a fallu « adapter, pour Michel Simon, le rôle à son tempérament ». Bel euphémisme qui couvre les nombreuses difficultés rencontrées sur le plateau par le réalisateur, en raison de l’attitude provocatrice d’un interprète « hénaurme » menaçant de déséquilibrer le film !
Ces émissions sont disponibles sur le site de l’INA.
Pour plus de confort d’écoute, en voici les liens directs, avec le détail des interventions de Gérard Philipe, telles que signalées par l’INA. (Attention, le minutage court parfois sur toute la durée des émissions mises bout à bout.)
Rencontre avec René Clair : 1ère partie
Émission diffusée le 19 octobre 1951.
Sujet : les débuts du réalisateur jusqu'au tournage du film Paris qui dort en 1923.
22'51'' : Gérard Philipe lit des Souvenirs du frère de René Clair, Henri Chomette.
32'55'' : Gérard Philipe lit un poème de René Clair
35'18'' : Gérard Philipe lit deux courtes pièces écrites à cette période.
40'12'' : Gérard Philipe lit le poème Oh mon Paris suivi de la chanson À Paris dans chaque faubourg.
Rencontre avec René Clair : 2e partie
Émission diffusée le 26 octobre 1951.
Sujet : Évocation de la création et la sortie du film Entracte en 1924
44'44'' : Lecture par Gérard Philipe des déclarations sur le cinéma de Louis Aragon, Jean Cocteau, Fernand Léger, Pierre Mac Orlan, Sacha Guitry et Paul Valéry.
45'41'' : Lecture par Gérard Philipe de textes sur le cinéma écrits par René CLAIR autour de 1925.
Rencontre avec René Clair : 3e partie
Émission diffusée le 2 novembre 1951.
Sujet : Évocation des films Le voyage imaginaire et Le fantôme du Moulin rouge, des écrits de René Clair sur le cinéma et de ses prises de positions quant aux différents mouvements de l'époque.
1'50'' : Lecture par Gérard Philipe d'un essai Rythme de 1925.
8'41'' : Lecture par Gérard Philipe d'un texte de René Clair, écrit pour une avant-première au Voyage imaginaire.
[Pour mémoire, car Gérard Philipe ne participe pas à ces émissions.
Rencontre avec René Clair : 4e partie
Émission diffusée le 9 novembre 1951
Sujet : l'année 1927 avec le film La Proie du vent et les livres Adams, De fil en aiguille et La princesse de Chine.
Rencontre avec René Clair : 5e partie
Émission diffusée le 16 novembre 1951.
Sujet : l'année 1928 avec entre autres, le film Un chapeau de paille d'Italie.]
Rencontre avec René Clair : 6e partie
Émission diffusée le 23 novembre 1951.
Sujet : les années 1930-1933 avec l'arrivée du cinéma parlant et le film Le million.
7'03'' : François Périer et Gérard Philipe jouent un dialogue à partir de textes de René Clair (joué par Gérard Philipe) et de Marcel Pagnol. Il s'agit d'une vieille querelle entre les deux réalisateurs à propos du cinéma parlant, mais aussi de l'estime et de l'amitié qui lient les deux artistes.
Rencontre avec René Clair : 7e partie
Émission diffusée le 30 23 novembre 1951.
Sujet : les années 1930/1933 et les films Le million, À nous la liberté et 14 juillet.
24'05'' : Lecture par Gérard PHILIPE d'un article de Renée Jeanne (critique au Petit journal), avec à 25'34'' et 26'39'' extraits musicaux du film.
Rencontre avec René Clair : 8e partie
Émission diffusée le 7 décembre 1951.
Sujet : l’année 1935, le film Le dernier milliardaire et sa carrière en Angleterre, Fantôme à vendre.
40'35'' : Gérard Philipe lit un résumé du film "Le dernier milliardaire", extrait musical de Maurice Jaubert.
[Pour mémoire, car Gérard Philipe ne participe pas à cette émission.
Rencontre avec René Clair : 9e partie
Émission diffusée le 14 décembre 1951.
Sujet : la carrière de René Clair pendant la guerre en France et aux USA.]
Rencontre avec René Clair : 10e partie
Émission diffusée le 21 décembre 1951.
Sujet : la carrière de René Clair aux USA jusqu'au retour en France.
23'26'' : Gérard Philipe lit un article de Louis Chauvet (paru dans Le Figaro), à propos du résumé du scénario de La belle ensorceleuse, musique.
30'55'' : Gérard Philipe lit un résumé du film Ma femme est une sorcière d'André Bazin paru dans le Parisien libéré.
34'24'' : Gérard Philipe lit un résumé du film C'est arrivé demain de Georges Sadoul.
Rencontre avec René Clair : 11e partie
Émission diffusée le 28 décembre 1951.
Sujet : la carrière de René Clair après 1945 de retour en France et les films Le silence est d'or et La beauté du diable.
42'38'' : Lecture par Gérard Philipe de l'article de Jean Fayard sur le film Le silence est d'or, extrait du film et chanson.
49'18'' : À propos de la proposition de film venue d'Italie et le thème de Faust, René Clair donne quelques détails sur la conception du film La beauté du diable et évoque les interprètes.
53'24'' : Extrait de la bande son de La beauté du diable avec Gérard Philipe et Michel Simon (« scène du miroir »).
[Pour mémoire, car Gérard Philipe ne participe pas à cette émission.
Rencontre avec René Clair : 12e et dernière partie
Émission diffusée le 4 janvier 1952.
Sujet : Georges Charensol et Roger Régent tentent de dégager le sens de l'œuvre de René Clair.]
Photographies d'illustration (sur le tournage de La beauté
du diable, en 1950) : © Sam Lévin /
Médiathèque de l’Architecture et du Patrimoine / ministère de la Culture.
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