1957 – Échos du tournage de "Pot-Bouille" de Julien Duvivier

 Pot-Bouille : détail de l'affiche

C’est au printemps 1957 que débute le tournage de Pot-Bouille, d’après le roman d’Émile Zola. Julien Duvivier tourne aux Studios de Billancourt, dans des décors soigneusement reconstitués.

 

sur le tournage de "Pot-Bouille" : Gérard Philipe et Julien Duvivier

Avec ce film, Gérard Philipe revient à l’interprétation pure, puisque l’échec de Till l’Espiègle (dû à une date de sortie malencontreuse pour un film financé par des capitaux est-allemand et réalisé par un « compagnon de route » du Parti Communiste) semble lui interdire de s’orienter pour l’instant sur cette nouvelle voie professionnelle. 

Très atteint par cet échec qui l’a également endetté, Gérard Philipe redevient simple acteur. Mais il réoriente également sa persona, estimant qu’il n’est plus temps pour lui de jouer seulement le « jeune premier ». Le parcours cynique du séduisant Octave Mouret, dont les évolutions dans l’immeuble où il vient résider dévoilent l’hypocrisie et les faux-semblants de la bourgeoisie du XIXe siècle, témoigne de l’évolution de sa carrière : le personnage mêle ambiguïtés, humour ravageur et séduction. 

 

"Pot-Bouille" de Duvivier : Gérard Philipe sous le porche de l'immeuble

Un journaliste se rend sur le plateau, alors qu’on tourne apparemment l’une des premières scènes de Pot-Bouille : celle de la rencontre entre Octave Mouret, accompagné de son mentor Achille Campardon (Georges Cusin), et Madame Josserand (Jane Marken) et ses filles, Berthe (Dany Carrel) et Hortense (Danielle Dumont).

La célébrité de Gérard Philipe fit même reprendre ces articles dans la presse québécoise. On y trouve même une petite interview. (Notons que Gérard Philipe ne jouera finalement pas Hector dans la pièce de théâtre de Jean Giraudoux : Jean Vilar mettra en scène La Guerre de Troie n’aura pas lieu au TNP en 1962 ; c’est alors Daniel Ivernel qui incarnera le rôle.)

 

« Sur le plateau de POT BOUILLE (Prod Paris Film Production) que Julien Duvivier réalise actuellement d'après l'œuvre de Zola, Gérard Philipe tourne une petite scène entre Jane Marken et Dany Carrel. Très Second Empire, portant avec une suprême élégance le manteau à petit carreaux noirs et blancs, étonnamment mince et jeune, il s'amuse de tout comme un collégien, déployant un entrain souriant, naturel et constant dont chacun profite autour de lui. S’il ne montrait pas tant d'aisance, on le croirait à son premier film, heureux d'être là, apportant tout son zèle au moindre détail, littéralement navré que son lapsus ait fait recommencer la scène. Mais lorsqu’il répond aux journalistes, s’il ne se départit pas de sa grâce, il apporte aux questions qu'on lui pose beaucoup d’intelligence.

"Oui, dit-il, je suis heureux d’être comédien et je trouve que la vie est belle. Mais il y aurait trop à dire là-dessus !"

Quand on lui demande s’il aime jouer dans ce costume romantique qui lui va si bien, il répond par une analyse imprévue de l’importance du vêtement dans un rôle de composition :

— Un costume d’époque, dit-il, aide considérablement un acteur. Les bottines moulant la cheville, la petite poche sous la haute ceinture qui ne laisse passer que deux doigts de la main, déterminent des attitudes, des gestes, une allure et fournit des éléments de composition qu'un costume moderne ne donne pas."

Puis Gérard Philipe parle de son personnage qui lui plaît énormément et lui va d’ailleurs comme un gant, Octave Mouret, un Rastignac vu par Zola, un séducteur ambitieux, pas tellement loin de Julien Sorel, et comme il évoque LE ROUGE ET LE NOIR, il en vient à parler de celle qui fut l’inoubliable Mme de Rénal, et qu'il retrouve auprès de lui dans POT BOUILLE : Danièle (sic) Darrieux.

— C'est une extraordinaire partenaire, une comédienne unique avec laquelle il est passionnant de tourner. Elle confère ici à son personnage de Mme Hédouin, qui aurait pu être sec et froid, une vie et une émotion incomparables.

Quant à ses projets, Gérard Philipe se montre très heureux de tourner prochainement LA VIE DE MODIGLIANI, plus heureux encore de reprendre ses créations au TNP et confiant enfin qu'il espère y jouer l'année prochaine avec Vilar “La guerre de Troie n'aura pas lieu”, reprenant le rôle d'Hector que Jouvet créa jadis.

— C'est terrible, dit-il, de venir après Jouvet. Je crains surtout de ne pas avoir l'autorité exigée par le rôle !

Et pourtant de cette modestie, de cette réserve, de cette intelligence dont il fait preuve, se dégage précisément une prestigieuse, une souveraine autorité. » (Le Soleil, 31 juillet 1957)

 

"Pot-Bouille" de Duvivier : Gérard Philipe sous le porche de l'immeuble

 

« Il pleuvait aux studios de Billancourt où Julien Duvivier réalise actuellement, d’après l'œuvre d'Émile Zola, “Pot Bouille" avec Danielle  Darrieux et Gérard Philipe.

Dans la fameuse cour de l'immeuble, des tombereaux de fausse pluie se déversaient, cependant que dans le vestibule, entre deux scènes, les petits arrosoirs et les gros vaporisateurs aspergeaient sans relâche les pauvres cheveux de Dany Carrel, et la capote romantique de Gérard Philipe.

Celui-ci, terriblement grippé, supportait stoïquement la douche, mais, avec le plus séduisant des sourires, il se vengeait sur sa malheureuse partenaire Jane Marken, pleine de fourrures et de plumes :

“Le boa n'est pas assez mouillé ..." disait-il, à chaque fois que le tournage allait reprendre, et dans l'hilarité générale, on jouait aux pistolets à eau. » (Le Soleil, 27 juillet 1957)

 

"Pot-Bouille" de Duvivier : Jane Marken

 

Mais le sujet sulfureux du film, qui tourne autour de sujets à forte tonalité sexuelle et adultérines, pose des problèmes au Québec, comme le souligne Photo-journal du 10 août 1957 :

 « Le film “Pot-Bouille” que Julien Duvivier tourne aura une fin canadienne. En effet, dans les dernières scènes, Monique Vita doit paraître nue : elle pose pour un peintre. Évidemment, cette scène n'aurait pas passé la censure canadienne. Duvivier a jugé bon de faire paraître la “strip-teaseuse” dans une tenue moins nue, Gérard Philipe, Jean Brochard et Claude Nollier jouent les principaux rôles de cette production. »

 

On peut s’interroger sur l’oubli de Danielle Darrieux et Dany Carrel dans la liste des principaux acteurs !

 

"Pot-Bouille" de Duvivier : scène de pose chez le peintre

 

L’un des interprètes de Pot-Bouille, Jacques Duby, qui incarnait Auguste Vabre, se souvenait du tournage de la « scène de la gifle », alors que le mari cocu de Berthe faisait irruption dans la chambre d’Octave, que venait tout juste de fuir son épouse affolée :

 

« [Gérard Philipe] avait de grands bras et ne mesurait pas sa force. J'avais beau faire des moulinets et essayer de me défendre, il m'a envoyé valdinguer à l'autre bout de la pièce. J'étais KO. Duvivier, le metteur en scène, rigolait. Tout le monde rigolait. Moi, je riais moins. Quant à Gérard, il était navré. » (Télé7Jours, référence inconnue, années 1970-1980)

 

Les deux comédiens s’étaient connus au Conservatoire, dans les cours de Denis d’Inès.

 

"Pot-Bouille" de Duvivier : scène de la gifle
"Pot-Bouille" de Duvivier : scène de la gifle

"Pot-Bouille" de Duvivier : scène de la gifle

 

Illustrations : Gérard Philipe et Julien Duvivier (tirée de Télé7Jours) – Captures d’écran du DVD remastérisé HD Studio Canal.

 

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