1951 – Gérard Philipe, un Cid à la Loreleï, camp de jeunes européens

 Gérard Philipe à la Loreleï (Combat, 5 septembre 1951)


Le 27 juillet 1951, sitôt fini le festival d’Avignon où avait eu lieu la création triomphale du Cid, Jean Vilar et sa troupe font un détour par le « camp » de la Lorelei, pour une représentation exceptionnelle de la pièce de Corneille. Gérard Philipe y est fêté comme à Avignon…

Ce rassemblement a lieu dans le cadre des « rencontres internationales de la jeunesse européenne organisées […] avec la bénédiction empressée des autorités d'occupation, par le Deutsche Jugendring, qui fédère en son sein, à l'exception des étudiants, la plupart des organisations allemandes de jeunesse. » (Le Monde, 10 septembre 1951.) Il se déroule du 7 juillet au 9 septembre, les groupes de jeunes se succédant par période de dix jours.

Le magazine À la page : l'hebdomadaire des jeunes explique de quoi il en retourne :

« À la Lorelei un des "rocher" de la pittoresque vallée du Rhin, entre Mayence et Coblence, un camp immense est installé depuis le 20 juillet. Cette ville de toile est une vraie cité avec son église et sa cloche à la claire résonance, sa place publique, sa bibliothèque municipale, son cinéma, son théâtre, son bureau de poste et ses marchands de journaux. Cité des plus modernes même : ne possède-t-elle pas son journal et son poste de radio ?

Toutefois, ce n’est pas une ville comme les autres : c’est une ville de jeunes, une cite internationale.

Les drapeaux de 12 nations européennes y flottent, en effet, tout au long de la rue principale.

[…] La Lorelei n’est pas un camp de vacances où, face aux beautés de la nature, on vient rêver aux étoiles autour d’un feu. C’est un camp de rencontre de la jeunesse européenne, placé sous le signe d’une entente fraternelle.

Deux phrases en disent le but : "Meilleure connaissance des différences. / Recherche de ce qui peut unir.»

 On ajoute aussi que :

« Le camp de la Lorelei a donné lieu à des échanges culturels et artistiques très fructueux. Ainsi, Gérard Philippe (sic), Jean Vilar et la troupe du festival d'Avignon interprétèrent le Cid, devant un auditoire enthousiaste. »

Car, en plus des débats organisés durant la journée par différentes commissions, « quelques-uns donc purent apprécier Gérard Philipe et Jean Vilar jouant "Le Cid", entendre la chorale à cœur joie de Strasbourg, voir le groupe de Mme Polan dans des danses folkloriques, ainsi que d'autres programmes choisis. […] ». (Combat, 5 septembre 1951.)

 

Gérard Philipe à la Loreleï (Combat, 5 septembre 1951)

Retourné en France, Jean Vilar revient sur cette expérience :

« C’est [à la Lorelei] que Jean Vilar partit après le festival d’Avignon jouer "Le Cid" avec Gérard Philipe (qui obtint un triomphe), et il est curieux de noter les réactions de cet homme de théâtre (homme mûr mais si jeune !), devant ce brassage de générations qui viennent :

Et d’abord l’admiration :

— Nous avons adapté, explique- t-il, notre dispositif de scène à l’immense théâtre (10.000 places), de style antique construit, là autrefois par les jeunesses hitlériennes. Il nous fallut d’immenses mâts, des oriflammes, des tentures. Tout fut en place en quatre heures.

"Je demandai cinq escabeaux : ils furent fabriqués en deux heures."

"Nous eûmes besoin d’un quatuor pour jouer la musique de Lulli et Corelli. Quatre jeunes gens d'un groupe culturel de Poitiers l’étudièrent en une après-midi et je n’ai jamais entendu d'aussi parfaite exécution."

"Ces mêmes jeunes gens de Poitiers vinrent avec une chorale qui étonna les Allemands pourtant orfèvres."

"Et les Allemands, eux-mêmes, jouèrent "Meurtre dans la cathédrale" de très belle façon.

[…] Dans le camp, composé d’"ateliers" (cinéma, théâtre, chant, etc.) la clef de la bonne entente est le travail et "l’atelier de politique", le plus mal vu, est très peu fréquenté.

— C'est ainsi, dit Jean Vilar, que je n’aurais pas joué "Le Prince de Hombourg" car "ça bouge" là-bas et l’on ne débat pas certaines idées sans orage. […] » (article non signé, Combat, 3 août 1951.)

 

Pourtant, en septembre 1952, Le Prince de Hombourg alternera avec Le Cid lorsque le T.N.P. se produira à Berlin, Francfort, Darmstadt, Nuremberg et Munich…

Cette représentation aura également une suite inattendue pour Jean Vilar : la représentation avait eu lieu devant « un rassemblement de jeunes amateurs de théâtre organisé par Jean Rouvet, sous l’égide du ministère de la Jeunesse et des Sports. » (Jean Vilar par lui-même, Maison Jean Vilar, 1991, p. 100.) Jean Rouvet que Jean Vilar choisira pour être l’administrateur du tout jeune Théâtre National Populaire…

 

Si ce Cid du futur T.N.P. n’a pas été filmé, on peut cependant apercevoir le théâtre en plein air où fut joué le Cid dans le documentaire filmé par le réalisateur Geza Radvanyi. On peut voir ce film sur le site l’INA éclaire l’Actu.

 

"E comme Europe" réalisé par Geza Radvanyi (voir le site de l'INA)

Sur ce camp de la jeunesse, voir également « Französische Kulturpolitik in Deutschland 1945-1955 » par Jacqueline Plum. Elle y mentionne d'ailleurs l'importance de cette représentation.

 

Illustrations :  Gérard Philipe présentant Le Cid dans le théâtre en plein air (photographies publiées dans Combat, 5 septembre 1951) © Gallica-BnF – capture d’écran (© Ina).

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