1957 – Avec Dany Carrel, une tournée de promotion pour "Pot-Bouille"

Gérard Philipe et Dany Carrel à Marseille

Pour la sortie de Pot-Bouille réalisé par Julien Duvivier, Gérard Philipe, vedette masculine du film, et Dany Carrel, vedette féminine du film (car Danièle Darrieux n’y est créditée que d’une « apparition »), font une tournée de promotion à travers la France et en Grande-Bretagne.

C’est l’occasion de nombreuses opérations publicitaires. Un reportage télévisé, diffusé le 3 décembre 1957, les filme se promenant au Vallon des Auffes, port de pêche de Marseille, dans une déambulation qui paraît désormais bien artificielle…

Actualités Méditerranée (© Institut national de l’audiovisuel)
 

On peut retrouver la vidéo de ce reportage de Actualités Méditerranée sur le site de l’INA.

 

L’actrice, très sensible au charme de Gérard Philipe et qui ne s’en est guère caché, se souvenait, dans son livre de mémoires que :

« À Marseille, sur la Cannebière, sur le Vieux Port, partout où passait Gérard, c’était le délire. Lorsque nous nous rendions à une signature dans une librairie, à un cocktail, partout il déclenchait de véritables émeutes. Je me sentais bien petite face à un tel déchaînement d’enthousiasme et restais derrière lui. Alors Gérard me prenait par la main, il tenait à montrer que j'étais là aussi. Partout ce n’était que bousculades. Chacun se pressait pour obtenir une signature ou simplement pour le voir. Gérard Philipe était véritablement une idole et je ne connaissais personne en France capable, à ce point, de déplacer les foules.

Gérard Philipe et Dany Carrel à Marseille

Nos chambres étaient réservées au Grand Hôtel de Noailles sur la Cannebière et, chaque soir après cocktails et dîners, nous rentrions dans nos appartements.

La générale eut lieu au cinéma Odéon, sur la Cannebière. Gérard Philipe connut un triomphe. En compagnie de l’attachée de presse et du producteur Robert Hakim, nous allâmes souper. Un magnifique festin au champagne. Je portais mon beau fourreau vert. Je me sentais belle. Gérard, comme à son habitude, fut très gai, très drôle. Comme il l’avait souvent fait sur le plateau de tournage, il jouait au clown, nous éclations de rire. Une soirée belle comme je n'aurais jamais osé l’imaginer. […]

Mes tournées avec Gérard sont inoubliables. Après Marseille, il y eut Lyon, Bordeaux... Partout une foule en délire attendait Gérard Philipe. Cette rencontre avec le public fut aussi pour moi une émotion considérable. Car, chaque fois, Gérard entendait que je joue mon rôle d’actrice vedette du film. Et il y eut tous ces moments passés avec lui : les dîners si gais et si enrichissants. Il était de si joyeuse compagnie. Pourtant, parfois, lorsque nous étions seuls et qu’il ne se sentait pas regardé, brusquement, sans que rien ne le laissât prévoir, il sombrait dans une profonde tristesse. Son regard partait dans le vague, son visage devenait sérieux, presque douloureux. Et je m’interrogeais : Il passe de la plus extrême gaieté à la plus grande mélancolie, cette gaieté n'est-elle pas feinte ? Ces jeux de clown ne cachent-ils pas une profonde inquiétude ? Évidemment, je ne lui posais aucune question. » (Dany Carrel, L'Annamite, Robert Laffont, 1991, pp. 193-195.)

Gérard Philipe et Dany Carrel à Marseille

 Cette tournée n’a sans doute pas eu un impact majeur sur la fréquentation, mais, quoi qu’il en soit, le film est un très grand succès.

Même François Truffaut, qui déteste Gérard Philipe et qui fustige le cinéma qualité française de l'époque, lui trouve des qualités, bien qu’avec une certaine réticence évidente. Il est vrai que le futur cinéaste de la Nouvelle Vague cherchait par tous les moyens de démolir le cinéma « académique » et se trouve donc bien embarrassé devant l’excellence du film et une distribution étincelante…

« On pouvait s'attendre au pire, c’est-à-dire à un nouveau "Le Rouge et le noir", à ceci près que, même dans l'académisme, Duvivier est toujours plus amusant qu’Autant-Lara et [Henri] Jeanson [le scénariste] qu’Aurenche et Bost. Mais Pot-Bouille est précisément le contraire d’un film académique, une œuvre de dérision, baroque, échevelée et des plus imprévues, une parodie féroce et à peine involontaire de Gervaise, une caricature de Zola, mais caricature fidèle et ressemblante : à l’emporte-pièce, bref, et comme le dit si bien mon ami Domarchi : "Pot-Bouille, c'est la fesse à l’état pur".

Duvivier touche toujours à côté de la cible ; il ne parvient jamais à faire rire avec une comédie, non plus qu’à faire pleurer avec un drame, mais son tempérament, sa gentillesse, sa drôlerie inoffensive et sa maniaquerie insensée sont toujours là pour forcer la sympathie. Pot-Bouille n’est pas un film d'auteur ; c’est même tout le contraire ! On sent très bien l’œuvre écrite par quelqu’un et filmée par quelqu'un d’autre aux antipodes, mais il n ’empêche que, de la férocité de Jeanson, sa verve, multipliées par la douceur obstinée de Duvivier, il résulte quelque chose d'insolite et de plaisant. On pense à Ripois, à La Traversée de Paris et ce n’est pas si mal.

J'ajoute que la direction des acteurs, malheureuse dans L’Homme à l'imperméable, heureuse dans Le Temps des assassins, est ici presque vertigineuse d’adresse : Danielle Darrieux, Micheline Luccionni, Anouk Aimée, deux jeunes femmes dont je ne connais pas les noms, Jacques Duby et un grand dadais sont étonnants de justesse, Gérard Philipe, Dany Carrel étant — mais oui — meilleurs que d’ordinaire. Pot-Bouille est un film très honorable, d'abord parce qu’il est un film de tempéraments en liberté. » (Les Cahiers du Cinéma, décembre 1957, p. 58.)

 

Illustrations : captures d’écran du reportage (© Institut national de l’audiovisuel.)

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