1951 – Un vernissage mouvementé pour l’oncle de Gérard Philipe

Minou Philip, Gérard Philipe et Ernest Villette (Ce Soir, 30 mai 1951)

En mai 1951, Gérard Philipe présente gentiment les œuvres de son oncle maternel Ernest Villette dans une galerie d’art de Saint-Germain-des-Prés. Ce vernissage, très couru et où se pressent de très nombreux curieux du milieu germanopratin et cinématographique, donne l’occasion aux journalistes d’ironiser. En effet, la célébrité de Gérard Philipe, qui lui permet de mettre en avant son oncle, se révèle à double tranchant pour l’artiste-peintre…

Un (ou plusieurs ?) journaliste de Paris-Presse, L’Intransigeant revient à de nombreuses reprises (entrefilets et articles) sur ce vernissage, de manière extrêmement injuste pour Ernest Villette. Ses œuvres, à ce qu’il semble, ne déparent pas certains peintres dits « naïfs » et ne méritent pourtant pas ces jugements négatifs…

« Gérard Philipe modèle

"Si vous savez écrire, vous savez dessiner"

Ce slogan d’une école d'art par correspondance est à l’origine de la vocation picturale d’Ernest Villette, qui présente, cet après-midi, ses toiles au "Fiacre", bar germanopratin de la rue du Cherche-Midi.

Ernest Villette était fourreur. Il savait donc dessiner. L’école en question lui confirma cette révélation et Ernest Villette se mit à peindre.

Outre cette belle confiance en lui, il a l’avantage d'avoir un neveu devenu célèbre. Gérard Philips. Mais il est las de cette parenté et qu'on parle de lui en disant "l’oncle de Gérard Philipe". Il se console en pensant que grâce à sa peinture c’est Gérard qu'on appellera bientôt "le neveu de Villette".

Le premier soin d'Ernest Villette a été pourtant de commencer le portrait de son neveu. L'un soutenant l'autre, le tandem, escompte-t-il, a des chances d’atteindre l'immortalité. » (Paris-presse, L’Intransigeant, 29 mai 1951.)

 

Ernest Villette peignant le portrait de Gérard Philipe (Paris-presse L'Intransigeant, 29 mai 1951)

Quant au vernissage lui-même, les chroniqueurs sont tous d’accord pour souligner qu’il est devenu un prétexte pour la foule des mondains…

« Le Tout-Cinéma et le Tout-Saint-Germain-des-Prés s'écrasaient, hier soir, dans les locaux exigus d'une galerie de tableaux de la rue du Cherche-Midi où l'on vernissait (à grand renfort de pastis) la première exposition du peintre Ernest Villette. Comment cet artiste dont on n‘avait jamais entendu prononcer le nom, avait-il réussi à attirer pareille affluence ? La raison en est bien simple : Ernest Villette n‘est autre que l'oncle de Gérard Philippe (sic) et, en bon neveu, la vedette de l‘écran (qu’accompagnait sa mère) présentait elle-même les œuvres de son parent. On se doute un peu que cette cohue inextricable était accourue pour, lorgner à bout portant le visage du neveu plutôt que les toiles de l’oncle, lesquelles disparaissaient d’ailleurs derrière plusieurs épaisseurs de curieux). Ceux qui apprécient les scènes de la vie du cirque, les paysages parisiens ou champêtres reviendront un autre jour admirer (en toute tranquillité) les tableaux d’Ernest Villette. » (Ce Soir, 30 mai 1951.)

 

Un autre chroniqueur met d’ailleurs en avant un éthylisme mondain d’autant plus néfaste s’il s’agissait réellement d’absinthe, la « fée verte », une boisson extrêmement dangereuse et interdite en France depuis 1915 en raison de ses ravages sur la santé publique… Son texte est d’ailleurs un prétexte à de nombreuses comparaisons avec le nom du local hébergeant ce vernissage, le Fiacre…

Un "Fiacre" allait titubant...

« Atmosphère d'émeute rue du Cherche-Midi. Le Fiacre vernissait l’autre jour les peintures (?) d'un monsieur dont je n’ai pas retenu le nom et dont on ne sait qu’une chose :il est l'oncle de Gérard Philipe.

C’est du moins ce que j’ai lu sur un joli carton rouge vif qui annonçait : "Gérard Philipe (en très gros caractères) vous présente les peintures de son oncle M. X..." (ici le nom que je n’ai pas retenu, en caractères plus petits), le tout arrosé d'une boisson hygiénique offerte par un fabricant avisé de liqueur anisée.

Le Fiacre était plein, plein comme le métro à 6 heures du soir. Un camion-citerne stationné devant l'établissement déversa à la population "tout-parisienne" les rafraîchissements gratuits de la fée verte.

Discret, je demandai un verre d'eau au garçon qui s'empressa : "Si monsieur veut bien me régler tout de suite..." Et je compris alors (horrible malentendu) que la belle absinthe était seule généreuse.

Le ton monta vite, le bruit des verres brisés et des soucoupes volantes rendait I’atmosphère houleuse. Rapidement ceux qui ne trouvaient pas de place dans le Fiacre s’en furent (verre à la main) se rafraîchir sur le trottoir où tables et chaises s'amoncelaient en désordre. M. et Mme Boubal venus en voisins, n’avaient jamais vu tant de gens boire pour rien.

Le Tout Saint-Germain des grands jours piétinait et dansait devant le buffet...

Dans les escaliers (le Fiacre possède son impériale) des filles tombaient de sommeil ou de tristesse le nez dans un verre vide.

Annabelle, émerveillée de boire facilement dans un verre minuscule (le Dr Cloué vient de lui faite un nouveau nez), posait pour les photographes.

Le Fiacre était plus que lancé, il s'était emballé.

Piétinant le verre brisé qui jonchait le sol je m’en fus hors du champ de bataille plein de rancune envers ce véhicule où les boissons alcoolisées se distribuent à flot mais où un verre d'eau ne possède pas les mêmes avantages.

La prochaine fois je m’habillerai en cheval et j’irai à l'abreuvoir. Il y aura moins de monde, mon râtelier sera garni et peu m’importera si le fiacre titube. » (Carrefour, 5 juin 1951.)

 

Parmi les invités, se trouvait Elsa Schiaparelli, laquelle défraye la chronique pour son chignon audacieux… Son « cache-chignon de fleurs ou de fruits pour le soir » habituellement formé de « calotte de velours noir tendu sur un tulle bien raide » sur lequel sont fixées des fleurs, le tout tenu par un peigne, est remplacé par une de ses créations :

« Mme Schiaparelli, toujours excentrique, porte un cache-chignon en paille laquée noir, qui imite les cheveux. C’est un peu hallucinant. Elle étai ainsi coiffée hier au Fiacre, pour le vernissage de l’oncle de Gérard Philipe. Véra Norman, la sœur de Marcel Rochas, et toutes les belles de Saint-Germain-des-Prés à cheveux longs la regardaient, éberluées. » (Paris-presse, L'Intransigeant, 31 mai 1951.)

 

exemples de cache-chignon (Paris-presse L'Intransigeant, 31 mai 1951)

 

Illustrations : Ernest Villette peignant le portrait de Gérard Philipe (Paris-presse L'Intransigeant, 29 mai 1951) ; Minou Philip, Gérard Philipe et Ernest Villette (Ce Soir, 30 mai 1951) ; exemples de cache-chignon (Paris-presse L'Intransigeant, 31 mai 1951) : © Bibliothèque nationale de France.

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