1949 – Gérard Philipe entre Dieu et diable (projets de films)

Dieu a besoin des hommes (Delannoy) détail affiche

En 1949, Gérard Philipe accepte de jouer dans un film de Jean Delannoy, une adaptation du roman d’Henri Queffélec : Le Recteur de l’île de Sein. Le film s’appellera Dieu a besoin des hommes et doit être filmé en Bretagne, « dans l’île et sur la côte bretonne » durant l’année 1950, explique le quotidien Combat du 8 juillet 1949.

Les scénaristes sont les célèbres Jean Aurenche et Pierre Bost, lesquels viennent d’adapter le jubilatoire Occupe-toi d’Amélie que filme alors Claude Autant-Lara.

Un journaliste de Combat va interviewer l’un des scénaristes qui détaille alors la teneur d’un scénario au sujet encore délicat, alors que la morale chrétienne est encore très prégnante dans la société française de la fin des années 1940. Pourtant l’action du film se déroule au XIXe siècle…

« Je ne voudrais pas qu’il y ait de malentendu, me dit Jean Aurenche. Je veux dire : notre film sera chrétien dans la mesure où il décrira une aventure de la foi. Mais il ne le sera pas dans la mesure où il ne livrera pas au public un sentiment exemplaire de vie chrétienne.

Le roman de Queffelec relate très exactement les excès religieux auxquels se livre une population abandonnée par son curé. Il s’agit d’une des îles les plus misérables de France, cette petite île de Sein, dont on pourrait qualifier les habitants de "chiffonniers de la mer" : le moindre morceau de bois que la marée rejette sur leur rivage est pour eux une richesse.

L’ancien recteur est parti. L’île s’affole. Elle se sent seule, elle a besoin d’un prêtre, besoin d’un culte, de ces apparences magiques de la religion de cierges, de chants, de processions. Si bien que ses habitants en viennent peu à peu à se donner eux-mêmes un "ministre", qui n’est qu’un des leurs, un pêcheur comme les autres.

L’homme commence par faire réciter des prières publiques ; finit par confesser. Remarquez : faux prêtre, il n’en est pas moins un véritable chrétien, animé par une foi profonde. Ses convictions ne sauraient être mises en doute. C’est son obéissance vis-à-vis de l’Église qui est discutable.

Vient le jour où un nouveau recteur, un vrai membre du clergé, celui-là, gagne l’île. Alors éclate l’antagonisme de cette population sauvage, encore pleine de rancœur d’avoir été ainsi abandonnée, et de l’Église officielle, qui doit demander le secours de la gendarmerie pour se réinstaller à Sein.

Et au moment où la lutte est la plus vive, à l’occasion d’un enterrement refusé par le nouveau recteur, notre héros redevient un îlien parmi les autres qui défend l’intérêt commun contre une autorité oppressive.

Voilà ce qui, je crois, devait être dit […]. […] J’ajouterais seulement : aussi sévère que soit ce sujet, nous nous efforcerons de conserver l’humour étrange que Queffelec a su faire régner d’un bout à l’autre de son roman. » (J.-P. V., Combat, 12 juillet 1949.)

 

C’est Gérard Philipe qui est pressenti pour jouer le faux « recteur », le sacristain Thomas Gourvennec.

Ce projet apparaît dans un portrait du jeune comédien paru en août 1949. Il y est qualifié de « champion de la caméra ».

« Vingt-quatre ans. Toute la vie devant lui, et déjà plusieurs vies bien remplies derrière lui Le meilleur acteur de sa génération, et de quelques autres. Sa réussite ne lui a pas encore tout à fait tourné la tête : se hâter d’en profiter. Peut jouer n’importe quoi, est automatiquement le personnage du rôle – justement parce qu’il peut jouer n’importe quoi. A refusé d’être le Christ d’Abel Gance, parce qu’il n’a pas la foi. Dans "Un Recteur à l’Île de Sein", il sera un prêtre sans ordination : ça, il veut bien. Le diable paraît l’intéresser davantage : "Le Diable au corps" et, maintenant, "La Beauté du diable" de René Clair. En somme, un bon petit diable. Les jeunes filles rêvent de lui. Lui, il rêve aussi, mais il est assez intelligent pour ne pas dire à quoi. Éviter de monter en auto quand il conduit. » (Carrefour, 10 août 1949)

 

Mais le rôle du recteur va bientôt changer de titulaire, comme le relatent les journaux…

« LE BONHEUR DES UNS FAIT LE MALHEUR DES AUTRES René Clair va bien réaliser La beauté du diable à Rome pour Universalia. Les rumeurs pessimistes qui couraient sur un éventuel arrêt du film se sont révélées inexactes, et Gérard Philipe vient de voir proroger son contrat qui expirait samedi.

Jean Delannoy, de ce coup, s'arrache les cheveux ; il comptait sur Philipe pour retenir le rôle du recteur dans Dieu a besoin des hommes, d’après le roman de Queffelec : Un recteur à l’île de Sein. » (Combat, 19 juillet 1949)

 

« CHANGEMENT DE VEDETTE. De bonne foi, nous avions annoncé que le rôle principal du prochain film de Delannoy "Dieu a besoin des hommes", d'après le roman de Queffelec "Un recteur de l’île de Sein" serait Interprété par Gérard Philipe. En complet accord avec Jean Delannoy, Gérard Philipe a renoncé à son rôle, lequel, physiquement, était trop âgé pour lui, et c'est Pierre Fresnay qui jouera l'humble sacristain dépositaire de la foi catholique à l'île de Sein, au XIXe siècle...

Il est curieux de constater que dans ce film collaboreront trois hommes de formation protestante : Jean Delannoy, Pierre Bost et Pierre Fresnay. Il est vrai que depuis "Monsieur Vincent" et "Barry" ce dernier a l'habitude de jouer les héros catholiques. Au reste son immense talent s'accordera très bien avec sa foi. » (La Vigie Marocaine, 8 septembre 1949)

 

Le film débutera donc son tournage en avril 1949 sans Gérard Philipe… Il y aurait retrouvé Madeleine Robinson.

 

Illustration : détail de l’affiche © DR.

 

Commentaires