1951 – Interview radio de Gérard Philipe (sur le tournage de "Juliette ou la clef des songes")

photographie de plateau de Raymond Voinquel : Michel Grandier au poste de police

En 1951, le journaliste Jacques Marcerou interroge Gérard Philipe à l'occasion du tournage de Juliette ou la clef des songes, réalisé par Marcel Carné. Cet extrait de l'émission radiophonique Plein feu sur les spectacles du monde peut être écoutée sur le site de l'INA éclaire l'actu.

Pour plus de facilité d'écoute, voici la retranscription de cette interview :

 

« Vous semblez, Gérard Philipe, depuis le début de votre carrière, avoir une sorte de prédilection pour les personnages littéraires, ou plus exactement, pour les personnages cinématographiques adaptés d'œuvres littéraires. Est-ce que vos goûts vous portent plus volontiers vers les personnages qui sont nés d'une chose écrite ?

Gérard Philipe : Mes goûts, c'est peut-être beaucoup dire. Je crois qu'il faut beaucoup parler de la production quand il s'agit de cinéma... C'est une… un art industriel. Et la plupart du temps, les producteurs sont portés à préférer des personnages sortis d'un livre, car ils ont une certitude sur le bureau qui est un livre et un livre qui souvent a fait ses preuves. Et, la plupart du temps, ils ont peur d'un scénario original. Vous en savez quelque chose, mon cher Marcerou. Et, la plupart du temps, ils en ont peur parce qu’ils ont souvent un manque de consistance, lorsque le scénario est original, qui interdit au producteur de penser qu'ils auront là des personnages solides.

Mais, ceci dit, mes goûts me portent assez à choisir ces scénarii quand ils me sont proposés.

Puis-je vous demander comment vous concevez vos personnages lorsqu'ils sont issus d'un livre, que vous avez en main l'ouvrage, et que vous commencez à penser à la conception générale du personnage que vous allez interpréter à l'écran ?

Eh bien, d'abord, je lis le scénario, et puis je constate qu'il y a eu de gros changements, et je m’aide de ces changements pour étayer le personnage ; en plus de l’apport du scénariste, je profite de l’apport de l'auteur original et, la plupart du temps, les personnages du coup ont plus… plus vivants… plus...

Plus consistants.

… plus consistants, oui.

Gérard Philipe, voulez-vous essayez d'établir un rapprochement entre les quatre ou cinq grands personnages tirés d'œuvres littéraires que vous avez interprétés à l'écran ? Par exemple, L'Idiot, Le Diable au corps, peut-être La Chartreuse [de Parme] et celui-ci ?

Oui, un rapport ? Je ne vois pas très bien le rapport. Il ne peut exister de rapport que par le fait que c'est le même acteur qui joue les personnages. En fait, il ne devrait pas en exister. C'est bien le drame de l'acteur que d'être obligé d'amener chez les gens... en conclusion, une comparaison entre les personnages que l’acteur a pu jouer, et c'est dommage. Mais enfin, le problème n'en existe pas moins. On ne change pas de physique comme on veut, ni d'âme. Et évidemment, on peut parler d'un rapport qui existe. Cependant, j'espère que la plupart du temps, il est peu sensible, bien qu'il le soit à cause du fait qu'on ne change pas. Il est peu sensible, mais certains journalistes et critiques sont amenés à faire des liaisons entre les personnages qu'un acteur a pu créer. Et je crois qu'il existe une vague légende parlons de moi comme d'un acteur poétique. C'est assez énervant, mais qu’y puis-je ?

En effet. Eh bien, puisque nous avons commencé cette conversation sur le temps des œuvres littéraires, puis-je vous demandez, Gérard Philipe, s'il y a dans la littérature présente ou passée une œuvre littéraire qui vous tient particulièrement à cœur. Ou plus exactement, un personnage dans une œuvre littéraire et que vous voudriez un jour proche voir porté à l'écran ?

Oui, pour l'instant il y en a deux. Il y en a un dont je ne parlerai pas car j'espère qu'il va se réaliser. Et vous connaissez la superstition. Et le second n'est pas encore bien solide au point de vue financier, alors j'en parle parce que ça pourrait le consolider. Dans ce cas-là, tant mieux. Ce serait la légende de Till Eulenspiegel que les Belges vont essayer de monter en collaboration avec les Français, à tourner en extérieur en Flandre, et en studio en France. Et j'espère ça se fera d'ici deux ans.

Et pour lequel film vous avez été pressenti ?

Oui. Oui, bien sûr. Et je fais des pieds et des mains pour que tout marche bien.

Eh bien, je vous en remercie. Et je souhaite que votre souhait se réalise. Merci infiniment.

Brouhaha. Une voix dit : "c’était très bien, eh bien on va laisser et on va couper là". »

 

Illustration : photographie de plateau de Raymond Voinquel : Michel Grandier au poste de police (© médiathèque du patrimoine et de la photographie)

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