1943 – Marc Allégret présente Gérard Philipe et "Les Petites du Quai aux fleurs"

Marc Allégret et "Les Petites du Quai aux fleurs" (Vedettes, 11 décembre 1943)
 

En 1943, Marc Allégret présente les jeunes comédiennes et comédien qu’il a découvert et mis en valeur dans Les Petites du Quai aux fleurs ; c’est l’objet d’un article du magazine de cinéma Vedettes présentant les « nouveaux visages du cinéma » français. Parmi les « petites », Gérard Philipe (dont le patronyme est régulièrement écorché avec deux « p » !).

Ce qui est intéressant dans ce paragraphe introductif, est qu’Allégret affirme avoir choisi des jeunes interprètes correspondant à la psychologie des personnages. Il ne s’agirait donc pas de demander aux acteurs de jouer un rôle mais d’être sur la pellicule ce qu’ils sont dans la vie…

Pour sa part, Gérard Philipe se voit qualifié de compliments ambigus. Son personnage est (très) riche : est-ce une allusion à l’aisance de la famille Philip ? Le comédien n’est pas « un beau jeune premier photogénique », affirmation qui peut faire sourire désormais ; mais, à l’époque, Philipe est maigre, efflanqué, et ne correspond en rien aux canons de beauté virile de l’époque. Et, surtout, il est intelligent. Voici déjà les prémices du socle sur lequel se bâtira la « persona » de Gérard Philipe…

Quant aux photographies d’illustrations, elles durent faire saliver les lecteurs en ces temps de disette et de rationnement ! Le glamour des vedettes en devenir ne passe donc pas par les vêtements chics, mais par le contenu de leurs assiettes…

 

« Malgré son jeune âge, Marc Allégret tient une des premières places parmi nos meilleurs metteurs en scène. Mais son travail ne se borne pas à réaliser des films.

Il les prépare très soigneusement et, pour cela, se fait une spécialité de chercher lui-même et de découvrir des vedettes. C'est lui qui révéla des artistes telles que Simone Simon et Odette Joyeux. Et cela suffit pour que l'on fasse confiance à des "nouveaux" et des "nouvelles" comme Simone Sylvestre, Colette Richard, Danielle [sic] Delorme et Gérard Philippe [sic], qui seront les personnages de son prochain film. Nous lui avons demandé, de les présenter aux lecteurs de "Vedettes". Voici ce qu'il nous écrit à leur sujet:

Un orage de printemps, une giboulée de mars qui bouleversent brusquement une paisible journée, et le soleil qui revient aussitôt qu'il a disparu, laissent la terre plus calme et l'air plus pur. Voilà à quoi on pourrait comparer le sujet du scénario de Marcel Achard et Jean Aurenche, pour le film "Les Petites du Quai aux Fleurs".

L'histoire du film se déroule en quarante-huit heures. Une fille de seize ans — l'âge où l'amour rend les filles un peu folles. Elle aime, elle souffre, elle est désespérée. Un amour pareil, plus jamais elle ne le retrouvera ; alors la vie ne vaut plus la peine d'être vécue. Sans y croire vraiment elle-même, Rosine se dit qu'elle aimerait mourir.

Avec un mélange de timidité et d'audace enfantines, elle ébauche son projet et passe brusquement du domaine du rêve éveillé à la réalité. Son geste a des répercussions qu'elle ne pouvait prévoir : le drame entre soudain dans la vie d'une famille dont rien ne semblait menacer le calme quotidien.

Le père s'aperçoit qu'il ne connaît pas ses filles, les sœurs qui s'adoraient sont désunies, se détestent...

Mais les passions de petites filles sont aussi courtes que violentes. A seize ans, malgré tout, la vie est belle. Rosine, un jour, vivra son grand amour.

En demandant à Odette Joyeux d'être Rosine, nous savions qu'elle ferait de notre héroïne un être extraordinaire de sensibilité, de spontanéité, de poésie, tantôt grave, tantôt souriante. Pour l'entourer, j'ai choisi pour interprètes des jeunes filles et des jeunes gens dont la personnalité corresponde à celle des personnages imaginés par les auteurs, et qui n'ont jamais joué au cinéma jusqu'à présent.

Simone Sylvestre joue Edith, la sœur aînée. Elle est grave, mais son calme apparent ne masque qu'à moitié sa nature passionnée. Que se passe-t-il sous l'eau dormante de son visage ? Est-elle très bonne ou très méchante ?

Colette Richard, c'est Indiana. C'est ce qu'on appelle une "chic fille". Franche et loyale envers elle-même aussi bien qu'envers les autres. Elle est optimiste, elle aime mieux rire que pleurer. Et dans les moments difficiles elle estime que, en attendant la preuve du contraire, il vaut mieux croire que tout s'arrangera très bien.

Danièle Delorme (Bérénice dans le film) est la plus jeune. C'est une imaginative. Elle a tout l'illogisme de l'extrême jeunesse. Ce drame, dont elle souffre pourtant, la passionne parce qu'elle a l'impression qu'enfin "quelque chose se passe". Elle aime, mais pour l'instant, elle aime l'amour d'une façon vague parce qu'elle l'attend.

Gérard Philippe [sic], c'est un millionnaire (dans le film) mais on y croit vraiment, parce qu'il n'en a pas l'air. N'attendez pas un beau jeune premier photogénique. C'est mieux : il a la beauté de l'intelligence, l'œil clair et spirituel, pas l'air d'un acteur, tant mieux !

Jacques Dynam, c'est Jodelet, dit Polo, marchand d'oiseaux. C'est un comique attendrissant, subtil, il sait que la vie n'est pas drôle. C'est pourquoi il faut se dépêcher d'en rire. Il a la bonté et la fidélité des chiens, de ceux qu'on aime plus que les hommes.

Est-ce qu'ils ont du talent ? Est-ce que ce sont de futures vedettes, comme on dit dans les revues cinématographiques ? Je le pense puisque je les ai choisis, c'est au public d'en juger. Ils ont été aidés dans ce film, leur premier, par leurs camarades déjà célèbres qui les ont aimés et encouragés.

Marc ALLÉGRET » (Vedettes, 11 décembre 1943.)

 

 

Gérard Philipe et "Les Petites du Quai aux fleurs" (Vedettes, 11 décembre 1943)

[Légende de la photographie] « Une scène entre Colette Richard, Simone Sylvestre et Gérard Philippe [sic]. »

"Les Petites du Quai aux fleurs" (Vedettes, 11 décembre 1943)
 

[Légende de la photographie] « Après quoi, Colette Richard et Simone Sylvestre préparent un thé substantiel. »

 

Gérard Philipe et "Les Petites du Quai aux fleurs" (Vedettes, 11 décembre 1943)

[Légende de la photographie] « Et Gérard Philippe [sic] ne cache pas sa joie devant cette excellente pâtisserie. »

 

[Légende de la photographie du haut] « Marc Allégret reste toujours le camarade des jeunes premières qu'il se fait une spécialité de découvrir pour ses films. Le voici entre Colette Richard et Danièle Delorme. »

 

Illustrations : « photos : Lido », publiées dans l'article © La Cinémathèque française (Cinéressources)

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