1949 – L’imagination cinématographique, selon Gérard Philipe

L'imagination cinématographique, par Gérard Philipe

« En marge d’Une si jolie petite plage », Gérard Philipe fait publier un texte dans L’Écran français du 1er février 1949. Le choix de ce magazine n’est pas un hasard : son ami (et co-locataire) Jacques Sigurd écrit dans ce périodique : il y publie des portraits d’acteurs et de techniciens du cinéma sous le pseudonyme de « Le Minotaure ». Sigurd est également devenu scénariste : il collabore avec Yves Allégret pour sa fameuse « trilogie noire » dont Une si jolie petite plage forme le volet central.

Philipe changera de genre en tournant ensuite Tous les chemins mènent à Rome, sur un scénario comique de Sigurd : le film sera un échec cuisant, Philipe se reprochant par la suite d’avoir imposé le film. Les chemins professionnels (et amicaux ?) des deux hommes se sépareront peu de temps après.

Voici de larges extraits d’un texte qui dépasse sa simple vocation publicitaire, Philipe s’étant battu pour le succès d’un film noir auquel il tenait énormément : L’imagination cinématographique.

 

« Tirant exemple des films que j’ai tourné jusqu’à présent, j’ai cru constater qu’il existe presque autant de manières différentes de tourner un film qu’il existe de films différents.

Dans la plupart des cas, l’œuvre achevée paraît tellement définitive qu’elle permet aux critiques et spectateurs avertis de se faire une opinion précise quant aux intentions du metteur en scène.

Cependant la volonté de ce dernier n’est pas toujours seule en cause. Je voudrais parler des initiatives diverses qui rendent, plan à plan, le film définitif. C’est le plus souvent le fruit d’une participation collective. […]

[…] mon ami Alain Resnais […] vint me voir sur le plateau alors que je tournais “Le Pays sans étoiles” et me fit remarquer, les yeux brillants de joie et d’émotion technique, combien la “griffe” de Georges Lacombe était présente dans la composition du plan que nous tournions : … “Cette lampe au coin gauche de l’image ! … ! Tout à fait comme dans tel et tel de ses derniers films…” Je rigolais doucement, sachant que la lampe avait été disposée ainsi par Arignon, le caméraman.

Ce même Arignon aurait mérité un bel apéritif que je ne lui ai, du reste, jamais offert (pardon Roger) en aidant avec à propos à réaliser le dernier plan d’“Une si jolie petite plage” que l’imagination de Jacques Sigurd avait “techniquement” mis sur papier…

Il s’agissait de deux personnages sur la plage qu’un travelling arrière réduisait à deux points minuscules perdus sur le sable, face à la mer. Yves Allégret désirait un hélicoptère mais il n’obtint qu’une voiture travelling. Il lui fallait donc adapter l’idée technique aux moyens qu’on lui donnait pour arriver à faire apparaître dans le mouvement les différents éléments du plan. Mais la voiture travelling laissait des traces de son passage. L’idée était abandonnée, lorsque soudain, Arignon pensa qu’il suffisait, pour réaliser le plan, de faire un travelling avant, les personnages marchant en arrière, et la pellicule se déroulant en sens inverse dans la caméra. […]

[…] un film est le plus souvent le fruit d’un travail collectif.

Pour conclure, en m’excusant de trop schématiser peut-être, je dirai que nous avons les exemples de metteurs en scène qui ont marqué leurs films de leur personnalité dominante, faisant des initiatives du plateau “un miel qui est tout leur”, et d’autres metteurs en scène qui, comme Yves Allégret, s’intègrent par sympathie à la vision cinématographique d’un scénariste et savent choisir avec discernement parmi les apports pour en enrichir un film et conservent la ligne directrice au milieu des propositions souvent sans valeur. [Signature autographe de] Gérard Philipe. »

 

Gérard Philipe reviendra, dans certaines interviews radiophoniques, sur cet aspect collectif de l’œuvre cinématographique qui semblait lui tenir beaucoup à cœur :

 



 Illustration : exemplaire personnel de l’autrice du blog.

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