Avec plus de 80 réimpressions en microsillons (33tours), l’adaptation discographique du Petit Prince d’Antoine de Saint-Exupéry est l’un des disques les plus populaires et les plus aimés enregistrés par Gérard Philipe.
Que pensait l’acteur de cet enregistrement ?
Un reportage faisait pénétrer dans les coulisses de l’enregistrement et lui
donnait la parole :
« Georges Poujouly prête sa voix au “PETIT PRINCE” de St-EXUPÉRY. GÉRARD PHILIPE nous parle de l’adaptation radiophonique.
En une seule nuit blanche, Gérard Philipe rencontra Le Petit Prince, à vingt-trois ans. A treize ans, le jeune Georges Poujouly fit sa connaissance. En trois jours, Le Petit Prince vient d’"apprivoiser" l’enregistrement sonore et de faire naître une grande amitié entre les deux jeunes comédiens.
— Tout livre (ou toute œuvre de plume) est traduisible à l’écran ou au micro. Les réalisateurs ont le droit, et même le devoir, de mettre ces œuvres à la portée d’un public, qui, sans la radio et le cinéma, les ignorerait peut-être toute sa vie. Les adaptations, cependant, doivent être effectuées sous la condition intransigeante de grande fidélité
Gérard Philipe vient de répondre à la question que je lui ai posée, et que, demain, des milliers d’auditeurs se poseront à leur tour : "André Sallée avait-il le droit (moral) d’enregistrer sur disque microsillon Le Petit Prince, de Saint-Exupéry ? Avait-il le droit de toucher à cette œuvre puissante, débordant comme une cruche d’eau des lacs, de fraîcheur et de poésie ? Ne risque-t-il pas, en donnant (même involontairement) un tour trop réaliste à son enregistrement, de ternir un livre qui tient une grande place dans le cœur de bon nombre d’entre nous ?"
— Et pourquoi, poursuit Philipe, ne serait-il même pas possible de transposer Le Petit Prince à l’écran ? Suivant sa sensibilité, l’amour qu’il témoigne à ses frères, chacun imagine le petit personnage à sa guise : je ne crois pas que l’on commettrait une erreur en le concrétisant sous les traits d’un gosse inconnu.
Si "Saint-Ex" vivait encore, précise le comédien, l’aventure radiophonique l’eût certainement tenté. Techniciens et acteurs ont apporté à l’enregistrement une conscience extraordinaire, qui eût ravi le compagnon de Mermoz.
Offririez-vous le disque du Petit Prince à un enfant ?
— Quelles furent, dans l’adaptation, les difficultés rencontrées ?
— Une difficulté technique : dans un studio, les comédiens sont séparés du monde... par la vitre de la cabine-son. Peu à peu, au cours de l’enregistrement, il se produit une sensation de solitude, risquant d’engendrer une sorte de tristesse. Ce qui n’était évidemment pas recommandé pour l’enregistrement d’une œuvre aux couleurs optimistes ! Et nous avons dû fournir de rudes efforts pour pallier cette... mélancolie.
— Offririez-vous le disque microsillon (ou le livre) à un enfant ?
Une grande seconde, de réflexion. ("Qu’est-ce que ça signifie : réfléchir ?" demanda le Petit Prince.)
— Je suis sûr que si le sens exact de l’œuvre passe au-dessus des jeunes têtes, les gosses comprennent cependant mieux que les adultes, la féerie et le merveilleux des aventures fabuleuses du Petit Prince. Je crois que le livre est à la portée des enfants : mais mon jugement a peut-être été influencé lors de ‘enregistrement, par la présence du petit Poujouly.
Gérard Philipe sera "Saint-Ex", Georges Poujouly détiendra le redoutable honneur de prêter sa voix au Petit Prince, et l’enregistrement microsillon sortira pour les fêtes.
Sur notre planète de guerres aussi injustes qu’inutiles, d’inimitié et de haine — cette terre qui est notre héritage — Gérard Philipe est certainement un des rares adultes à avoir rencontré le Petit Prince. Combien d’auditeurs suivront son exemple ?
Alain-Y. SERGE. » (Radio cinéma télévision : hebdomadaire catholique des auditeurs et des spectateurs, 27 décembre 1953.)
Pour en savoir davantage sur les enregistrements discographiques de Gérard Philipe, voir : « La discographie de Gérard Philipe : une archive révélatrice d'un trait sans doute majeur de ce qu'on appelle sa "présence" », par Marie-Madeleine Mervant-Roux, dans Gérard Philipe : le devenir d’un mythe, ouvrage placé sous la direction de Violaine Houdart-Merot et AMarie Petitjean, Éditions Hermann, 2024, p. 163-187.
Légende de la photographie : Georges Poujouly est intrigué par le pupitre d'enregistrement. André Sallée s'étonne joyeusement, tandis que Gérard Philipe semble découvrir les mystères de la radio, avec inquiétude. Dans l'enregistrement du "Petit Prince", Larquey sera l'allumeur de réverbères, Sylvie Pelayo, la fleur, et Jacques Grello, le renard.
Visuels © DR (pochette du disque) et Gallica (article).
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