Le 10 novembre 1944, Gérard Philipe commence à interpréter Au petit bonheur, une pièce de boulevard de Marc-Gilbert Sauvajon, au Théâtre Gramont. (On peut lire un florilège des comptes rendus de presse sur Gérard Philipe dans CE BILLET.)
Résumant et présentant le canevas de la pièce dans le programme de salle (fac-similé intégral ci-dessous), l’auteur explique :
« C’est en trois actes l’histoire du suicide de Jean MARCHAT. Je sais bien que c’est désolant, mais je n’y peux rien. Jean MARCHAT veut se tuer et, détail incroyable, il veut se tuer dans un décor de DORNES. Question de coquetterie, sans doute…. Une manière comme une autre de finir en beauté.
Il veut donc se tuer, et pour ce faire, il est venu se retirer dans la petite auberge que tient – à ravir – Sophie DESMARETS. Voilà où mène le Conservatoire, aubergiste. Passons…
Mais à peine Sophie DESMARETS est-elle au courant de la prochaine disparition de son illustre client que Gérard PHILIPE arrive. Gérard PHILIPE – ne le répétez pas – est marié à Odette JOYEUX mais il ne l’aime pas, ce qui prouve que le talent n’a rien à voir avec le bon goût. Odette JOYEUX, par contre, aime tant Gérard PHILIPE qu’elle a décidé de le tuer. Mourir de la main d’Odette JOYEUX, voilà qui ne doit pas être désagréable, d’accord. Mais Gérard PHILIPE en a décidé autrement et il se sauve. Odette JOYEUX le poursuit…
Et ils tombent comme deux cyclones jumeaux sur l’auberge de Sophie DESMARETS où Jean MARCHAT agonise dans la solitude. Il va être la victime de ces deux époux terribles qui ne respectent rien et foulent aux pieds ses plus intimes secrets. Là-dessus, au deuxième acte exactement, arrive Jacques DYNAM qui est journaliste à Orange – encore une chose que je vous apprends – et que son patron a flanqué à la porte le matin même. Seul un article sensationnel peut le tirer de là. Cet article, il le cherche comme un fauve cherche sa proie… Cet article, il en trouvera le sujet dans l’auberge et ce sera une nouvelle catastrophe dont Jean MARCHAT fera encore les frais. C’est Odette JOYEUX qui lui aura joué ce mauvais tour… en « douce », bien entendu. Et pour couronner le tout… (…) »
« Comédie gaie » ? Ô combien !!! Le texte semble avoir amusé autant les acteurs que le public, car Odette Joyeux se rappelle, dans son livre de souvenirs, que :
« (...) Gérard Philipe, Sophie Desmarets, Jean Marchat, Jacques Dynam, on ne s’ennuie pas. La comédie est légère, elle a du succès. Jean Marchat s’ingénie à nous faire des blagues et nous sommes trop heureux d’en profiter Fous rires, fous rires, ceux de Sophie Desmarets demeurent, aujourd’hui encore, célèbres. Un soir que nous rions follement "comme des baleines" sans respect de l’auteur ni du public, nous recevons des sifflets. La douche, et glacée. Nous perdons contenance et pas fiers, nous reprenons le jeu... sérieusement. Désormais, chaque fois que je serai gagnée par le rire en scène, les sifflets retentiront dans ma tête et me feront reprendre illico mon contrôle (...)
Je m’entends très bien avec Gérard et Sophie. (...) Gérard, après le spectacle me ramène sur sa moto. Quand il ne fait pas trop froid, il m’offre un tour supplémentaire. (...) »
Odette Joyeux, Le beau monde, Albin Michel, 1978.
Sophie Desmarets n’est pas en reste :
« C’était atroce. (…) Notre première pièce. Nos premières critiques. Jacques Berland dans Concorde avait même ajouté un paragraphe à son compte rendu : "Ce que je reprocherai à M. Gérard Philipe et à Mlles Odette Joyeux et Sophie Desmarets, ce sont ces fou-rires qui sans raison perceptible, les secouent périodiquement. Entendons-nous bien, c’est nous qui sommes venus pour rire, pas eux. Un peu de conscience professionnelle, SVP." » (citée dans Paul Giannoli, La vie inspirée de Gérard Philipe, Plon, 1960.)
À défaut d’entendre un extrait de la pièce, apparemment non captée, voici un exemplaire intégral du programme de salle, sorti de ma bibliothèque :
Collection de l’autrice du blog
Commentaires
Enregistrer un commentaire