1948 – Interview de Gérard Philipe : projets et certitudes (Combat)

Affiche de "Une si jolie petite plage", avec Gérard Philipe

C’est sur le tournage de Une si jolie petite plage au studio de Billancourt que Gérard Philipe est interviewé par Jean Marabini. Cet entretien sera publié dans Combat, le 18 juillet 1948. Il dévoile certains de ses projets (dont deux ne se réaliseront pas), tout en accusant le coup des critiques qui ont accueilli La Chartreuse de Parme, accablée par les puristes et zélés Beylistes. Ces derniers reprochaient à Christian-Jaque ses arrangements et ses raccourcis, tout comme l’excision de la bataille de Waterloo… 

GÉRARD PHILIPE

acteur infatigable

se prépare à devenir

géomètre et désossé

Gérard Philipe tourne aux studios Billancourt « Sur une si jolie petite plage » (sic).

Je le rencontre, attristé, en compagnie d’un gendarme, devant un hangar où il exerce un talent imprévu de mécanicien.

« Hélas, soupire le pandore, tandis que le machiniste déclenche la pluie artificielle, il va falloir l’arrêter. »

Gentil, simple, courtois, un rien méfiant, Gérard Philipe commande deux cafés à la servante qui lui a rangé maternellement son imperméable dans son placard personnel. « J’incarne un pupille de l’Assistance publique qui revient là où ont début tous ses malheurs, me dit-il. Ce qui est remarquable dans ce film c’est que l’intrigue débute après l’action dont le spectateur doit seul reconstituer le fil. Un peu comme dans un film muet, les paroles pourraient être ici des sous-titres et les personnages la musique de fond. Vous verrez, par exemple, dans le café de la petite plage qui sert de fond de décor, le patron paralysé dont le regard seul réfléchit le drame qui s’est déroulé jadis, recevoir un voyageur mélancolique (Carette) qui a une fois de plus manqué son train ; un industriel falot très « mots-croisés », habitué du dimanche, qui écoute en compagnie de sa femme, une refoulée, un disque obsédant de la chanteuse réaliste. Quant à Madeleine Robinson, la fille de salle, c’est un peu le chœur antique. [»]

ROME LIEU GEOMETRIQUE

Gérard Philipe sourit, songeant déjà à son futur travail assez nouveau pour lui, presque comique. « M. Pégase, géomètre » sera une sorte de Don Quichotte qui se rend à Rome au congrès mondial des géomètres et qui rencontre sur sa route, au point de rencontre de la fatalité, une star américaine très atomique (Micheline Presle). Le clair de lune sur le Colisée fournira l’étincelle nécessaire pour cimenter ces deux éléments fort dissemblables. Après quoi, pour mars de l’année prochaine, nous reviendrons à l’époque 1900, dans « Paris chahute au gaz », l’histoire de Valentin le Désossé. Ici Gérard Philipe me découvre un talent de mime qui étonnera les spectateurs de 1950. Nous parlons maintenant théâtre, pour lequel il professe des goûts très ordonnés. « Il faut, me déclare-t-il, d’une part, un public, d’autre part des acteurs. Chaque chose à sa place. Camus prépare une pièce sur les révolutionnaires russes. Je serai donc pour lui nihiliste aux côtés de Maria Casarès. »

Dans cette course triomphale qui va de l’ange de Sodome et Gomorrhe (…) à ce tombeur d’aigle impérieux où il rivalisera avec Jean Marais, tout du moins en acrobaties, une seule amertume : la Chartreuse. Là-dessus il se tait et c’est avec joie qu’il accepte les critiques les plus féroces.

 A propos, pour quel journal, me demandez-vous cette interview ?

 Pour « Combat ».

 C’est une lettre de change, fait-il avec noblesse.

En l’absence de M. Christian-Jaque, je retrouve avec intérêt le véritable Fabrice del Dongo.

Jean MARABINI.

 

Paris chahute au gaz (titre inspiré par le poème de Jules Laforgue, Soir de carnaval ?) ne se réalisa pas, en raison de son coût, comme le précisa ultérieurement Gérard Philipe (L’Écran Français, 16 mai 1951). Le scénario aurait dû être signé par Jacques Sigurd (auteur de Une si jolie petite plage et Monsieur Pégase, géomètre dont le titre définitif sera Tous les chemins mènent à Rome.)

C’est finalement Serge Reggiani qui incarnera Ivan Kaliayev, dit Yanek, aux côtés de Maria Casarès (Dora), dans Les Justes d’Albert Camus. La pièce sera créée au Théâtre Hébertot le 15 décembre 1949.

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