1954 – Interview de Gérard Philipe et Silvia Montfort sur "Le Cid" (Montréal)

Gérard Philipe se maquillant pour le Cid (1951) (photo de Sam Lévin)

Lors de cette première tournée du TNP à Montréal en 1954, la troupe de Jean Vilar débute avec Le Cid dès le premier soir. La première du 11 septembre 1954 est accueillie par des avis (très) partagés, Gérard Philipe semblant d'ailleurs avoir rencontré quelques difficultés en scène lors de cette représentation

Rien de tel pour la seconde représentation. Jean Vilar ayant insisté pour que le TNP puisse donner des matinées étudiantes, Le Cid est aussi joué le dimanche 12 septembre au Théâtre Saint-Denis.

Un journaliste du Devoir a attrapé les deux amants de Corneille dans leurs loges pour quelques confidences. (Article paru dans l’édition du 13 septembre 1954.)

 

DANS LES COULISSES

avec Rodrigue...

« Comme hier soir, les interprètes se sont retirés sous l'ovation d’un auditoire entièrement subjugué, grâce à eux, par la neuve grandeur de Corneille... Mais l'atmosphère était différente, cette après-midi ; rien de la dignité un peu compassée des premières ; les étudiants ont reçu Corneille avec familiarité, émus quand il le fallait, bien sûr — et comment ne l’auraient-ils pas été ? — mais, aussi, ne se privant pas de rire franchement à l’occasion de quelque malentendu, ou d'une bonne vérité première.

Qu'en pense le Cid ?

C'est toujours comme cela en France, quand nous donnons "Le Cid" devant les jeunes. D'ailleurs, il y a aussi ce côté un peu drôle, un peu démodé, dans Corneille... Il est tout à fait normal qu'on rie.

C'était la cent quarante-sixième fois, dimanche après-midi, que Gérard Philippe (sic) jouait "Le Cid". En trois ans, pas une seule fois, il n'a dû être remplacé. Je lui demande si c’est l'un des rôles qu'il préfère, l'un de ceux où il trouve le plus de lui-même.

— Pour répondre à cette question, il faudrait évoquer tout un passé de théâtre, parler de l'esprit qui anime la compagnie. J'ai choisi le théâtre de Jean Vilar, et j'aime tous les rôles qu'il me confie. Je n'ai pas de rôles préférés.

Même réponse à la question traditionnelle : préférez-vous le théâtre au cinéma, ou vice versa ?

— Aucune préférence.

La réponse est nette et franche, comme le regard, comme le sourire, comme la poignée de main. Gérard Philippe (sic) n'est pas l'auteur d'un journal intime à destination du public : c'est un acteur — et, nous a dit Jean Vilar, le plus consciencieux des acteurs.

... et avec Chimène

On n'oubliera pas ce masque pur et altier de tragédienne, cette voix un peu sourde qui scande le vers cornélien avec une si juste et si prenante émotion...

À la ville. Silvia Monfort est aussi simple, aussi "camarade" qu'il se peut : une intelligence en bonne santé. Elle a des préférences, et ne les cache pas ! L'une de ces préférences — qu'elle partage avec Jean Villar (sic) et peut-être avec tout le T.N.P. — est celle de Corneille à Racine. Elle reproche au monde racinien (notons qu’elle a joué Andromaque) d'en être un de cruauté ; tandis qu'elle trouve chez Corneille cette générosité, cette humanité, dont Péguy glorifiait l'auteur de Polyeucte.

Et Chimène ?

— J'ai appris le rôle en huit jours, en même temps que je jouais Été et fumée de Tennessee Williams, dans un autre théâtre. Elle me fait l'effet d'une personne avec laquelle j’aurais dû faire connaissance un peu trop vite. Au début, je jouais avec une furie !... Maintenant, j'essaie de faire sentir, en même temps que la passionnée de justice, l'amoureuse, la femme déchirée. Et puis, je refuse toute mièvrerie. Cette mièvrerie qui est ce que je déteste le plus dans certaine image conventionnelle de la femme...

Silvia Monfort n'est venue que tout récemment au Théâtre National Populaire. Mais elle avait joué un Claudel et un Supervielle sous la direction de Vilar, il y a huit ans à Avignon, de sorte que son entrée au TNP peut ressembler à un retour.

[Le reste de cette interview aborde son travail de romancière.] »

 

Visuel : d’après une photographie de Sam Lévin : "Gérard Philipe se maquillant dans sa loge" (1951) © Médiathèque de l’architecture et du patrimoine / donation au Ministère de la Culture.

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