Pour de nombreux cinéphiles, Gérard Philipe est Fanfan la Tulipe. Il existe cependant assez peu de reportages sur le tournage de ce petit chef d’œuvre d’humour et de cape et d’épée. Voici donc quelques informations sur les coulisses de l’action…
Une préparation sportive
En juin 1951, Gérard Philipe avait
commencé l’entraînement nécessaire pour incarner son personnage de bretteur
risque-tout, comme le relatait Robert Chazal dans Paris-presse,
L’Intransigeant (15 juin 1951) :
« Gérard Philipe interprétera ce rôle — nouveau pour lui — de joli cœur, redresseur de torts, bretteur et cavalier. Il a recommencé à s'entraîner à l’épée et à monter à cheval, tout comme avant la Chartreuse de Parme. Le film lui fera faire, en effet, de véritables prouesses sportives. C'est ainsi qu'il devra se jeter de la cime d'un peuplier, que ses poursuivants abattent à la hache, dans les eaux protectrices d’une rivière. » (!)
Cette cascade, si elle était bien prévue, ne restera pas dans la version filmée...
Quant à la future « Mme Fanfan-la-Tulipe » italienne, elle arrive à Paris début août et est accueillie à l’aéroport par son prestigieux partenaire. (Photo parue dans Paris-presse, L’Intransigeant du 11 août 1951).
Ce même quotidien raconte également que, « infatigable, Christian Jaque a commencé son nouveau film, "Fanfan la Tulipe", deux heures exactement après avoir terminé le dernier, "Barbe-Bleue". Cet intervalle, il l'a consacré à aller ou cinéma voir "Juliette ou la Clef des songes" »… un film avec Gérard Philipe. Voulait-il voir comment avait évolué le jeu de son interprète de La Chartreuse de Parme ? De son côté, le scénariste Henri Jeanson travaille toujours sur les dialogues du film.
Engagé au début de 1951, c’est durant l’été que Gérard Philipe débute le tournage de Fanfan la Tulipe. Le 20 août, très exactement.
Un film sur les coulisses du tournage de Fanfan-la-Tulipe
Avant d’indiquer les lieux du tournage, voici l’URL d’une très précieuse vidéo d’environ 27 minutes, publiée par l’Institut national de l’audiovisuel. Dans ce film (muet), on peut voir différentes séquences sur les prises de vues réalisées dans différents décors naturels.
Durée de 6 minutes environ : tournage de la bataille (fantassins et cavaliers, artillerie), avec le décollage de l’avion utilisé pour les prises de vue aériennes. On voit aussi le réalisateur Christian-Jaque.
Durée d’une minute environ : la doublure de Gérard Philipe escalade la façade du château de Maintenon.
Durée de 5 minutes environ : tournage à Beynes de la poursuite du carrosse emportant Adeline, par Fanfan, de Tranche-Montagne et de La Franchise (avec des doublures pour Fanfan et Adeline).
Durée de 5 minutes environ : scènes de cascade. Gérard Philipe parlant à des admiratrices.
Durée de 3 minutes environ : au château de Castellaras, répétition
du duel entre Gérard Philipe et Noël Roquevert. Gérard Philipe se prend pour Tarzan.
Durée de 4 minutes environ : scènes de duel avec Gérard Philipe et repas (À 17 minutes 43 secondes, on voit le repas de l’équipe, avec Gérard Philipe qui initie une bataille à coup de bouteille d’eau…)
Puis divers plans de bataille ou autres.
Fanfan la Tulipe, un tournage en décors naturels
Engagé pour tourner Fanfan au début 1951, c’est durant l’été que Gérard Philipe débute le tournage de Fanfan la Tulipe. Le 20 août, très exactement. Les premiers jours furent consacrés à tourner des plans immobiles ou tranquilles, l’acteur souffrant toujours de la chute faite à Avignon.
Même si on affirmait que le film « sera tourné en Dordogne, "parce que c’est un beau pays, dit Christian Jaque, et parce que le cinéma ne s’est encore jamais aperçu de son existence." » (Paris-presse, L’Intransigeant (15 juin 1951), il se déroulera en fait en grande partie sur dans l’arrière-pays niçois, en Eure-et-Loir et en studio(s), à Billancourt et peut-être à la Victorine. Il n’y aura pas de tournage en Bavière, comme on l’annoncera aussi plus tard.
Le village où réside Fanfan et où se déroulent ses « noces » est celui de Sospel (Google Maps) : les tréteaux du recruteur se trouvait sur le parvis de la cathédrale, et on tourna également dans les petites rues adjacentes.
On peut trouver une page réalisée par le cinéma de Sospel, avec plusieurs photos du tournage et un autographe de Gérard Philipe sur le Livre d'or de l'hôtel des Étrangers. En voici certaines :
Certains plans auraient été tournés du côté de Magagnosc, à Grasse.
Fanfan plonge dans la Siagne, non loin de Cannes, pour échapper au père de Marion. Le plateau de Saint-Christophe, près de Grasse (Google Maps), a aussi servi de décor.
Le déroulement du tournage est suivi de près par la presse professionnelle :
« C’est le 20 août qu’a été donné le premier tour de manivelle […] Ces premières prises de vues ont été effectuées non loin de cannes, sur les bords de la Siagne, dans un cadre de verdure qui ne fait songer en rien à la Côte d’Azur. […] Il est prévu environ huit semaines de tournage sur la Côte d’Azur. » (La Cinématographie Française, 1er septembre 1951)
« Sur le plateau de Saint-Christophe, 1.200 mètres au-dessus de Grasse, Christian-Jaque dirige, pour Fanfan Tulipe, les scènes d’attaque du carrosse de la Pompadour et divers combats opposant Gérard Philipe à des brigands. Ces scènes mouvementées spectaculaires sont réalisées avec concours des membres du club des Casse-Cou, spécialistes du genre. […] Les extérieurs se feront en Bavière et sur la Côte d’Azur et les intérieurs à Paris ». (La Cinématographie Française, 8 septembre 1951)
« Sur le plateau Saint-Christophe, au-dessus de Grasse, Christian-Jaque poursuit les prises de vues de Fanfan la Tulipe. D’importantes scènes, où entrèrent en action une imposante artillerie, ainsi qu’une figuration, réunissant plusieurs centaines de personnes, ont été tournées » (La Cinématographie Française, 15 septembre 1951)
« Toujours en pleine action, au-dessus de Grasse, sur le plateau Saint-Christophe, Christian-Jaque y termine d’importantes scènes de Fanfan la Tulipe, dont Gérard Philipe et Gina Lolobrigida (sic) sont les vedettes. » (La Cinématographie Française, 22 septembre 1951)
« Christian-Jaque poursuit les prises de vues de Fanfan la Tulipe par de nombreux extérieurs et scènes en décors réels aux environs de Nice et dans la région grassoise » (La Cinématographie Française, 29 septembre 1951)
Certaines scènes sont aussi réalisées
dans une ferme (probablement celle-ci que l’on voit sur Google
Maps) qui jouxte le domaine de Saint-Donat (La Paoute), près de
ce qui est désormais un golf :
c’est là que Fanfan combat Fier-à-bras sur le toit.
Mais une météo maussade complique les choses…
« Bien que gêné par le mauvais temps, Christian-Jaque poursuit les prises de vues de Fanfan la Tulipe aux environs de Grasse et utilise au maximum les ressources offertes par les décors réels lorsque les conditions atmosphériques ne permettent pas le travail en extérieurs. » (La Cinématographie Française, 20 octobre 1951)
Puis le réalisateur se délocalise, une fois encore. Le « couvent » où se réfugie Adeline n’est autre que le Château de Castellaras à Mouans-Sartoux (devenu un hôtel de luxe : voir aussi Google Maps) :
« Au château de Castellaras, entre Mougins et Valbonne, Christian-Jaque poursuit intérieurs et extérieurs de Fanfan la Tulipe, avec Gérard Philipe, Noël Roquevert, Gina Lolobrigida, Olivier Hussenot, dans les principaux rôles. D’impressionnantes scènes de duels au sabre se sont déroulées dans le cloître sous la direction du maître Gardère. Par ailleurs, des scènes d’enlèvement et de poursuites à cheval, pleines de mouvement et d’émotion, ont été enregistrées par plusieurs caméras sous la direction de Christian Matras, chef-opérateur. » (La Cinématographie Française, 3 novembre 1951)
Le tournage a même droit à un mini reportage dans cet hebdomadaire spécialisé. On y apprend que Gérard Philipe refuse de chanter la chanson qui a donné vie à son personnage...
« C'est aux environs de Nice, Cannes et Grasse que sont réalisées les aventures romanesques de Fanfan la Tulipe. Christian-Jaque affirme que son héros n’a jamais existé si ce n’est sous la forme d’une chanson "En avant Fanfan la Tulipe" que d’ailleurs Gérard Philipe se refuse à chanter quand on le lui demande, y préférant "Sainte Catherine". [une chanson un peu leste qui se moque de la légende de sainte Catherine] En effet, c’est à Gérard Philipe qu’incombe de porter à l’écran ce héros courageux, vaillant, toujours content, un peu naïf mais si tendre dont la légende nous a transmis les hauts faits. Ce ne seront pas les péripéties qui manqueront car dès le premier jour de tournage Gérard Philipe a plongé dans la Siagne d’une hauteur de six mètres, le troisième jour il se battait seul contre six brigands, le quatrième il tenait tête à une troupe de paysans armés de fourches. Entre temps, il avait séduit la jolie Marion, s’était pris aux charmes d’Henriette de France, échangé de doux serments avec Adeline. Comme vous le voyez, c’est un programme bien rempli, tout à fait dans la note d’un héros d’aventures de cape et d’épée. […]
Le régisseur général, Maurice Hartwig, a de quoi s’occuper puisque rien que pour l’artillerie qui comporte une douzaine de pièces de canon, il a fallu prévoir des munitions et explosifs dont le coût atteint plus d’un million de francs. Les scènes les plus spectaculaires se dérouleront non loin de Grasse à Saint-Christophe où l’on met la dernière main à un champ de bataille où vont s’affronter plusieurs centaines de cavaliers et tout autant de fantassins. […] » (Paul-A. Buisine, La Cinématographie française, 10 novembre 1951)
On plie finalement bagage le 15 novembre… soit deux jours avant le « petit week-end de Suresnes » qui doit voir débuter Gérard Philipe au Théâtre National Populaire ! Selon certains biographes, l’acteur aurait fait des aller-retours en avion entre le tournage et les répétitions du TNP..
« Après 13 semaines de tournage dans la région de Cannes et Grasse, Christian-Jaque qui dirigeait les prises de vues de Fanfan la Tulipe, a gagné Paris avec ses artistes et techniciens le 15 novembre. Des scènes très mouvementées comportant duels au sabre, poursuites à cheval, enlèvement, ont clôturé la période de travail sur la Côte. » (La Cinématographie française, 24 novembre 1951)
En décembre, le tournage n’a toujours pas repris en studio, en région parisienne. La faute aux obligations théâtrales du rôle-titre ? Ce sont les diverses blessures des acteurs qui causent en réalité ce retard.
Alors qu’on annonce parallèlement dans la liste des films en tournage : « FANFAN LA TULIPE (Camp de Frileuse). 13e semaine », on fait également savoir que :
« Filmsonor et les Films Ariane précisent que les prises de vues du film Fanfan la Tulipe ont été interrompues le jeudi 15 novembre par suite des blessures (épaule démise et poignet cassé) de MM. Olivier Hussenot et Nerio Bernardi, deux des principaux acteurs du film de Christian-Jaque.
Ces accidents sont dus à une chute de cheval au cours d’une des scènes du film. Le tournage de Fanfan la Tulipe reprendra dès que le médecin-expert du Consortium des Assurances autorisera MM. Olivier Hussenot et Bernardi à reprendre leur activité. » (La Cinématographie française, 8 décembre 1951)
Le tournage reprend apparemment assez rapidement en décembre. Et on tourne enfin la poursuite du carrosse qui enlève Adeline, à Beynes et dans le camp militaire de Frileuse (Google Maps)… Souvent sans Gérard Philipe, doublé dans les plans larges où Fanfan chevauche pour sauver sa belle (l’assiette de la doublure est nettement meilleure que celle de l’acteur… « qui montait comme un pied », affirmera sa fille Anne-Marie dans une interview.)
La page internet de Mémoires et Histoire de Beynes montre d’ailleurs un bel anachronisme, avec la présence d’un hangar (pour vol à voile) que l’on voit apparaître brièvement à l’horizon !
Le tournage continue pourtant aux studios de Billancourt durant l’hiver, alors que Gérard Philipe a rejoint le Théâtre National Populaire de Jean Vilar, et partage ses journées entre Rodrigue et Fanfan. (Les représentations du Cid ont commencé le 17 novembre et continuent en banlieue parisienne. Le comédien joue également un petit rôle dans Mère Courage de Brecht, les deux pièces étant données en alternance.)
« Christian-Jaque, qui achève le tournage de "Fanfan la Tulipe", a filmé hier un des nombreux exploits de son trépidant héros au studio de Billancourt, où le brouillard de ces derniers jours l’a contraint de se réfugier. Fanfan, aidé de son fidèle Tranche-Montagne (Olivier Hussenot), surprend et fait prisonnier en un tournemain l’état-major ennemi (on ne précise pas de quel "ennemi" il s’agit) dans le moulin où il avait installé ses quartiers.
— Dire que je n’ai jamais loué à la guerre quand j’étais gosse, soupire Gérard Philipe, qui se rattrape maintenant, puisqu’il est Fanfan chaque après-midi, et revit, chaque soir, l’héroïque combat contre les Maures dans le récit du Cid. […] » (Ce soir, 20 décembre 1951)
Quant au château habité par Louis XV et sa cour, c’est celui de Maintenon (Eure-et-Loir). Le tournage semble s’y être tenu en décembre.
« CHRISTIAN-JAQUE doit achever dans la région de Rennes et au château de Maintenon le tournage de Fanfan-la-tulipe, fresque picaresque et fantaisiste sur les aventures de ce soldat de légende […]. Mais ces jours-ci, le mauvais temps a singulièrement ralenti le travail [du réalisateur] et c’est à Billancourt qu’il a dû chercher refuge.
Gérard Philipe, cheveux en bataille, casaque déchirée, bottes poussiéreuses, les joues mâchurées de noir et de sueur, les yeux étincelants et rieurs, avait l’air d’un grand gosse en train de jouer à la guerre. Il surgit de dessous une table avec son vieux complice Tranche-Montagne et fait prisonnier tout l’état-major ennemi qui consultait gravement la carte du pays. [L’article raconte en détail l’intrigue du film] […] On s’amuse beaucoup dans ce film mais on y écope de rudes coups. Gérard Philipe a eu la main transpercée par une épée et les deux poignets luxés ; Olivier Hussenot l’épaule démise en tombant de cheval ; Jean-Marc Tennberg, qui incarne le « ministre des voluptés » de Louis XV, a été renversé avec un carrosse : genou déboîté et côte fêlée ; Nerio Bernardi : poignet fracturé ; Gina Lollobrigida : figure tuméfiée et nez abîmé... Les autres acteurs — Roquevert, Geneviève Page, Sylvie Pelayo, Marcel Herrand, Paredés — numérotent leurs abattis. […] » (Ce soir, 20 décembre 1951)
Le 3 janvier 1952 voit enfin l’achèvement des prises de vues, annoncées par La Cinématographie française le 5 janvier 1952.
Illustrations : photographie de Paris-presse, L’Intransigeant du 11 août 1951 © Bibliothèque nationale de France – captures d’écran de la vidéo de l’INA © INA – photographies de tournage à Sospel © Cinéma de Sospel – capture d’écran et information © Mémoire et Histoire de Beynes.
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