1947 – "Les Épiphanies", "une bombe de gros calibre" (avant-papier d’"Ambiance")

 

Claudine (12 novembre 1947) © Gallica-BnF

Les Épiphanies, pièce à scandale ? C’est ce que sous-entend cet article annonciateur du poème dramatique d’Henri Pichette, alors en répétition au Théâtre des Noctambules, après avoir été « chassée » du Théâtre Edouard VII…

C’est Gérard Philipe qui entraîne sa partenaire de La Chartreuse de Parme, Maria Casarès dans cette aventure d’avant-garde. Les deux comédiens, séduits par le texte de Pichette, avaient même refusé un engagement à la Comédie-Française pour pouvoir le jouer. Pour monter cette pièce, Gérard Philipe fait plus que refuser d’autres engagements prestigieux et/ou rémunérateurs : il loue le petit théâtre pour représenter ce texte.

Claudine (12 novembre 1947) © Gallica-BnF

Son pari artistique sera une réussite : bien que la salle soit exiguë, le public se presse pour voir les deux comédiens défendre ce texte difficile et envoûtant. (Il en reste un extrait audio que l’on peut entendre ICI.)

La presse sera en général conquise, comme en témoigne ce recueil de coupures de presse.)

Après les représentations des Noctambules, le texte sera repris, très brièvement, au Théâtre des Ambassadeurs en 1948.

 

Ambiance (26 novembre 1947) © Gallica-BnF

Mais, pour l’instant, l’attente du public est à son comble…

Pour jouer "Les Épiphanies" Gérard Philipe perdra 25.000 francs par jour

« Sur l’une des plus petites scènes de Paris, les Noctambules, une bombe de gros calibre se prépare à exploser. Et c’est Gérard Philipe, promu au rôle de dynamiteur, qui va en allumer la mèche.

On ne peut pas dire que l’opération ait été menée à la légère. Depuis un an l’acteur lutte et travaille d’arrache-pied pour faire aboutir le projet. Chaque soir, pendant tout le temps que dureront les représentations, il perdra 25.000 francs, que lui offre n’importe quel directeur de théâtre, pour venir jouer dans la petite salle du quartier Latin Les Épiphanies, une pièce qui ne lui rapportera absolument rien. Rien, qu’une satisfaction personnelle. Celle que lui dicte son instinct de comédien. Et aussi parce que cette pièce lui apparaît d’une qualité exceptionnelle. Oh ! elle fera sans doute pousser des hauts cris. Des esprits bien avisés y verront cent raisons de se scandaliser. Car les éclats n’épargneront personne. Les douces petites routines dont on se fait des nids de chaleur à l’abri du monde y seront broyées, pulvérisées, concassées, atomisées. On y retournera le fer dans la plaie avec plaisir. Les mots feront office de rouleaux compresseurs. Car ce n’est pas une pièce, figurez-vous, mais un poème dramatique. Quand il apprit cela en buvant son café au lait, le directeur du théâtre Edouard-VII, qui avait déjà donné son accord, faillit s’étrangler. La troupe dut transporter ses pénates ailleurs et chercher refuge aux Noctambules. 

Ambiance (26 novembre 1947) © Gallica-BnF

L’auteur se nomme Harry Pichette. Il a 23 ans, des cheveux très noirs, l’agressive pâleur du desdichado. Dans sa vie il n’a jamais fait autre chose que d’écrire des poèmes et est bien décidé à ne rien changer à ses habitudes. Il est né poète comme on naît arbre ou poisson. Ses premiers vers parurent dans la revue de Jean-Paul Sartre, "Les Temps Modernes". Il ne se destinait pas au théâtre. C’est Georges Vitaly qui, ayant senti dans certains de ses poèmes un mouvement dramatique, lui en suggéra l’idée. Pichette dit communément qu’il écrit pour les oiseaux et pour les ouvriers. Il s’adresse aux âmes neuves, et son rêve serait de jouer une fois Les Épiphanies devant un public de gens simples, tout simples. Pour lui, Agnès Capri est une véranda passée au bleu.

Sa pièce ne comporte pas moins de vingt personnages. Roger Blin est le diable. Maria Casarès, l’amour, Gérard Philipe, le poète. Le drame se déroule entre ces trois êtres. Les autres sont des voix, des bruits de la rue, des exclamations familières, parfois des souvenirs d’enfance, le tic-tac d’une pendule, des chansons. Ils représentent l’univers et sa puissance d’enfermement. Au milieu de tout cela, le poète, pantin tragique, se débat, cherchant la fissure par laquelle il pourra s’échapper. Ses seules armes sont les mots. Ceux-ci dansent une sarabande effrénée dans sa tête. Il en jongle avec l’hystérie sublime des fous. Il y a des audaces verbales inouïes dans Les Épiphanies. Enfin, Maria Casarès et Gérard Philipe jouent très enlacés les scènes d’amour. Que des consciences hautement organisées s’en froissent, cela est plus que probable, autrement dit du pain sur les planches pour le Cartel d’Action morale. » (Ambiance, 26 novembre 1947.)

 

Ambiance (26 novembre 1947) © Gallica-BnF

Illustrations : photographies parues dans Claudine (12 novembre 1947) et photographies illustrant l’article d’Ambiance « (Photos Ambiance) » © Gallica-BnF

 

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