1960 – Gérard Philipe et Fernand Léger, l’art "élitaire pour tous"

Gérard Philipe parle de Fernand Léger © INA

 Le 7 août 1960, la télévision française diffuse une émission sur Fernand Léger dans la série L'art et les hommes, produite par Jean Marie Drot. Parmi les intervenants de cette émission, Gérard Philipe expose son amour pour l’œuvre du peintre, et montre, une fois encore, combien la démocratisation de la culture lui tient à cœur.

La date de l’enregistrement n’est pas précisée, mais elle a sans doute eu lieu en 1959.

Deux extraits très partiels de cette émission sont disponibles sur le site de l’INA. Vous en trouverez ci-dessous la retranscription et les liens URLs directs.

 

Gérard Philipe parle de Fernand Léger © INA

Extrait de 45 secondes.

« […] Ce que Léger fait avec nous, il nous fait revoir la ville. Il nous la refait découvrir. Il nous donne à voir des formes, qui, d’habitude, nous entourent, et que nous pouvons ne plus reconnaître ; « affiches comme des apparitions : disques, damiers, perches lisses, engrenages, cheminées fuyant au ciel et le livre aux nuages. L’arbre en croissance dans les ailes. C’est un vers de Pichette qui rend bien l’idée que souvent donne Léger […] »

 

Gérard Philipe parle de Fernand Léger © INA


Extrait de 1 minute 57 secondes

« […] En fait, cela me rappelle la réflexion d’un spectateur au théâtre qui venait de voir le Cid et, après qu’on lui ait demandé : « Mais est-ce que tu as compris à ton âge ? » Et c’était une jeune personne qui a répondu : « Pourquoi comprendre ? J’ai senti. »

Eh bien ! disons que, il s’agit de sentir Léger, et je crois qu’avoir une toile de Léger chez soi – c’est assez difficile monétairement, mais espérons qu’un jour il y aura des reproductions assez bon marché pour le porte-monnaie, et de qualité parfaite comme on peut les faire si on les fait à grosses doses – parce qu’avoir une toile de Léger chez soi, c’est se réchauffer le cœur.

Pourquoi ? Sans doute parce que son cœur passe à travers sa toile. Il peignait pour tout le monde. On le sentait quand on le voyait, quand on l’entendait parler. Mais on le sent aussi dans ses toiles.

Je vais encore raconter une anecdote.

Il y avait une expérience qu’il a faite qui était intéressante, une exposition, dans une usine de ses toiles, les plus grandes, la plupart. Et dans la cantine de l’usine, on a exposé plusieurs jours de suite ses toiles, et les ouvriers appréciaient diversement cette œuvre, car si on n’a pas eu l’éducation nécessaire avant d’aborder une peinture de Léger, il est certain, comme je vous le disais tout à l’heure qu’on peut ne pas comprendre mais certainement sentir […] »

 

Céramique de Fernand Léger (Museo internazionale delle ceramiche in Faenza )

S’il ne s’agit là que de bribes de l’intervention de Gérard Philipe, elles sont cependant riches d’enseignement.

Tout d’abord, le souhait d’art « élitaire pour tous » (comme le dira ultérieurement Antoine Vitez) est au cœur de la réflexion du comédien. Ce qu’il tente de faire avec le Théâtre National Populaire, il souhaite l’étendre à tous les arts.

Mais s’il admet qu’on peut plus facilement « (res)sentir » une pièce de théâtre, il semble penser que dans certains cas, certaines œuvres picturales demandent une présentation préalable. Malheureusement, l’anecdote étant coupée, on ne sait si les ouvriers de l’usine ont finalement été sensibles à cette peinture…

À l’entendre, on a l’impression qu’il a effectivement rencontré Fernand Léger. L’amitié du comédien avec René Clair lui a peut-être permis de rencontrer le peintre. N’oublions pas que René Clair fit grande impression avec Entr’acte en 1924, court métrage diffusé lors d’une représentation des Ballets suédois au Théâtre des Champs-Élysées dont Fernand Léger réalisait les programmes de salle… Ils appartenaient à cette même mouvance avant-gardiste fascinée par le mouvement et la géométrie industrielle…

Quant à la citation (non sourcée) d’Henri Pichette, il ne faut pas oublier que Gérard Philipe a créé deux œuvres du poète qui était aussi son ami : Les Épiphanies et Nucléa.

L’anecdote du jeune spectateur a été reprise : mais cette fois, il s’agirait d’un jeune homme non francophone mais néanmoins fasciné par une représentation du Cid. Les propos tenus restent les mêmes.


Et, si l’on observe la gestuelle de Gérard Philipe, on note qu’il utilise plusieurs gestes de compensation (dont il parlait dans cette interview vidéo de 1959), soit qu’il se soit suffisamment senti à l’aise pour relâcher son contrôle de lui-même, soit, au contraire, qu’il se soit senti plus intimidé face à la caméra pour parler d’art, au sujet duquel il admettait ne pas être expert… mais dans lequel il « sentait » pourtant profondément ce qui lui plaisait.

 

Gérard Philipe parle de Fernand Léger © INA

 

Illustrations : copie d’écran de la vidéo © Institut national de l’audiovisuel – Céramique de Fernand Léger (Museo internazionale delle ceramiche in Faenza / via Wikipedia, licence CC-BY-SA-3.0 )

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