1949 – Le Figurant de la Gaîté : un amoureux et son chien

Gérard Philipe et le chien Biquet (Elle, 7 mars 1949)

Lorsque Gérard Philipe accepte de ressusciter une pièce d’Alfred Savoir datant de 1926, Le Figurant de la Gaîté, il se doute peu que les feux des projecteurs vont se braquer aussi sur son partenaire, Biquet le basset (ou plutôt le teckel, merci à Anne Baclain Anselme pour cette précision). Afin d’assurer la publicité à la pièce, la presse emboîte le pas à la vedette pour mettre en valeur son partenaire canin.

La pièce est jouée au Théâtre Montparnasse-Gaston Baty, dans une mise en scène de Marcel Herrand, du 18 février au 17 avril 1949, Gérard Philipe devant ensuite se rendre en Italie pour tourner La Beauté du Diable. Gérard Philipe incarne le rôle d’Albert (le figurant) une cinquantaine de fois.

C’est tout d’abord la découverte du basset qui est mise en valeur :

 « LE CHIEN BIQUET

Pour jouer "Le Figurant de la Gaîté", au Théâtre Montparnasse, Gérard Philipe avait besoin d'un chien. Comme il n'en possède pas, on lui indiqua le chien d'un antiquaire du quartier Saint-Germain qui avait un sens prononcé de l'humour (pas l'antiquaire, le chien). Gérard vit l'animal, un basset, il lui plut et il demanda à le louer pour quelques mois.

Le louer, pas question, dit l'antiquaire, je vous le prête ; seulement, je vous préviens, il a un drôle de nom... à cause de sa forme. Je l'ai appelé "Bidet".

Dans la pièce d'Alfred Savoir, le chien s'appelle Azor. Pour ne pas trop embrouiller son protégé, Gérard Philipe choisit un moyen terme et décida de le nommer "Biquet".

En remerciement, dit-il à l'antiquaire, on vous fera un peu de publicité sur le programme.

Mais l'autre, modestement, s'effaça devant la gloire de la nouvelle vedette.

Non, décida-t-il, vous mettrez simplement sur le programme : le chien Biquet joué par le chien Bidet. » (Combat, 2 février 1949, rubrique "Tout se sait".)

 

Cette fausse indiscrétion est sans doute totalement exagérée : en effet, la mention du nom du chien, Bidet, n’est pas mentionnée dans le programme, bien que le nom de son « fournisseur » le soit. Il a sans doute été payé… Par ailleurs, la « forme du chien » ne semble justifier en rien son nom. Il s’agit probablement d’une forme d’humour qui devait attirer l’attention…

 

programme de salle "Le Figurant de la Gaîté" (fournisseurs)

Ce qui est plus curieux, en revanche, est de voir Gérard Philipe crédité du rôle du chien dans le programme… Cela veut-il dire que c’est lui qui s’est chargé de le dresser pour son rôle ?

programme de salle "Le Figurant de la Gaîté" (distribution))

Les difficultés rencontrées durant les répétitions sont évidemment mises en avant :

« Marcel Herrand, qui dirige pour l'instant la doublure de Mila Parély ? Le film que René Clair et Salacrou préparent pour lui donner La Beauté du Diable ? Pour Gérard Philipe, tout cela n'a plus d'importance.

Ce qui compte, c'est Biquet.

Biquet, un long basset feu accroché au bout d'une longue laisse verte, et qui a son rôle à jouer dans Le Figurant de la Gaîté, la pièce d'Alfred Savoir que son maître va reprendre au théâtre Montparnasse.

[...] A vrai dire, Gérard Philipe ne parle pas de la pièce. Il a juste le temps, avant la générale, d'apprendre à Biquet qu'il est plus convenable de rester sur le plateau quand on joue la comédie.

C'est entendu, n'est-ce pas ? dit-il à Jean Hibey. Si vous le voyez filer vers la rampe, vous le rappelez. Il faut l'attirer vers vous, lui faire comprendre qu'il y a de l'ambiance, des amis...

Biquet, pour l'instant, n'en fait qu'à sa tête : on voit son museau pointer à une fenêtre du décor, alors que sa queue n'a pas encore passé la porte. Mais, si on lui fait des compliments, il revient aussitôt à sa place.

Le Figurant de la Gaîté n'a pas vieilli, affirme Marcel Herrand. À la vérité, c'était une pièce en avance sur son temps : de l'avant-garde.

Je n'ai qu'un regret pour ma part, continue Gérard Philipe, c'est de ne pouvoir la jouer que jusqu'en avril (je partirai alors pour Rome avec René Clair). Car, dès que Marcel Herrand m'en eut donné le texte, je fus impatient de la voir montée. Pensez donc : une pièce comique, quatre rôles en un seul, et une place pour Biquet... » (Henri Spade, Paris-Presse, L'Intransigeant, 11 février 1949.)

Paris-Presse l'Intransigeant, 19 février 1949

Les comptes rendus des représentations mentionnent parfois cet acteur d’un nouveau genre, apparemment très apprécié :

« [...] Les ressources de comédien de Gérard Philippe (sic) ne procurent pas un plaisir négligeable. Ni la mise en scène de Marcel Herrand. Ni la drôlerie du chien Biquet. » (Ce Soir, 2 mars 1949)

« [...] Traînant un basset en forme de saucisson, Gérard Philipe s'amuse prodigieusement. Et il amuse. [...] » (Paris-Presse l'Intransigeant, 25 février 1949)

« [...] Le charme naïf du figurant Albert, et de son inséparable petit chien, évoque faiblement la grâce de Mârouf et la crédulité de Goha le Simple. Un symbolisme lourdement indiqué, sur le thème "l'habit fait le moine...", quand Albert change d'âme en passant de ses guenilles de clochard aux costumes de rajah, de cardinal et de dompteur, ne parvient guère à nous retenir. […] » (Robert Kemp, Le Monde, 25 février 1949)

« [...] Le propre du Figurant est de changer de costume tous les soirs. Mais, sous la soie du rajah, la pourpre du cardinal et le dolman du dompteur, c'est le même cœur qui bat. [...] Il lui faut séduire [la princesse Elvire] sous ces trois aspects, -- la permanence des sentiments étant symbolisés par la constance présence du chien Biquet, le plus intelligent basset que j'aie eu l'honneur de rencontrer. [...] » (Jacques Lemarchand, Combat, 26-27 février 1949)

Paris-Presse l'Intransigeant, 19 février 1949

« [...] une œuvre hautement divertissante, une sorte d'opérette sans musique, jouée à merveille par le grand Gérard Philipe, par Mila Parély, par Michel André et par un chien basset qui possède dans sa cervelle canine plus d'intelligence et plus de sens dramatique que bien des vedettes. » ("Interim", Panurge, 3 mars 1949)

« [...] le basset Biquet (particulièrement sympathique) [...] » (Elsa Triolet, Les Lettres françaises, 3 mars 1949)

« [...] Il paraît que, lorsqu'il dessina son personnage, Alfred Savoir fut inspiré par la clownerie douloureuse de Charlot. Eh bien, j'aimerais confronter une image de Charlot tenant le kid par la main, et de Gérard Philipe, le regard un peu noyé, caressant du bout des doigts le petit chien Biquet qu'il tient dans ses bras. »  (La Gazette des Lettres, 2 avril 1949)

« [...] Et puis il y a Gérard Philipe, qui donne de l'âme à tout ce qu'il touche. [...] Et avec, pour la circonstance, un étonnant chien basset presque aussi artiste que lui. » (Mercure de France, mai 1949)

 

Paris-Presse l'Intransigeant, 19 février 1949

Mais après une cinquantaine de représentations, la pièce touche à sa fin. Et le seul élément un peu véridique de ce potin est le souhait de l’acteur de toujours se renouveler et d’éviter de reprendre toujours le même personnage…

« GERARD ET BIQUET

Gérard Philipe est très indécis. En effet, il est obligé d'abandonner "Le Figurant de la Gaîté" vers le milieu d'avril pour aller tourner "Faust" ; mais abandonner "Le Figurant", c'est en même temps abandonner le chien Biquet qui lui sert de partenaire au Théâtre Montparnasse. Or, le chien Biquet a pris furieusement goût aux planches. Disons le mot, il est devenu un peu "cabot", et Gérard n'a plus le temps de dîner tellement l'animal, dès 7 heures, commence à tirer sur sa laisse Le sucre et les biscuits dont Mila Parély le réconforte à chaque entracte ne sont peut-être pas non plus étrangers à sa nouvelle passion.

Gérard n'a pas envie de reprendre "Le Figurant", car "il y a tant de pièces qui le tentent, dit-il, qu'il n'a pas envie de recommencer deux fois la même chose". Mais puisque les scénaristes ont pris tant de liberté avec "Roméo et Juliette" et avec "Manon", il a demandé s'il n'y aurait pas moyen de faire, d'un basset, un symbole satanique pour introduire son partenaire dans la fameuse nuit de Walpurgis. » (Combat, 22 mars 1949, rubrique "Tout se sait".)

 

Paris-Presse l'Intransigeant, 19 février 1949

La presse reste muette sur l’avenir de « Biquet » : est-il reparti près de son ancien maître ? Il devait s’être bien accoutumé à la présence Gérard Philipe puisqu’à la même période, « Piquet » (sic) sera présent lors de la rencontre de Gérard Philipe avec sa Marguerite pour le film de René Clair, telle que la rapporte Elle (mai 1949)…

Ce ne sera pas la seule fois où un basset accompagnant Gérard Philipe attirera l’attention des journalistes

 

Paris-Presse l'Intransigeant, 19 février 1949

 

Illustrations : Gérard Philipe pose dans les cinq costumes du Figurant (Paris-Presse l'Intransigeant, 19 février 1949) et en figurant dépenaillé (Elle, 7 mars 1949) ; extraits du programme de salle © Gallica-BnF

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