1945 – Gérard Philipe auditionne pour "La Folle de Chaillot"

 

Louis Jouvet arrive à Paris le 18 février 1945. Il y trouve le manuscrit d’une pièce que lui avait promise Jean Giraudoux, avec lequel il entretenait une longue fidélité artistique et amicale. Cette pièce est La Folle de Chaillot. Le directeur du Théâtre de l’Athénée est bien décidé à monter la pièce dans son théâtre, pour sa rentrée parisienne. Il a passé la plupart des années de guerre en tournée suisse puis sud-américaine avec sa troupe, dans des conditions souvent très difficiles.

Mais il lui faut presque huit mois pour faire partir de l’Athénée un producteur de spectacles qui occupait la salle, il lui faut vaincre les réticences de la veuve de l’écrivain, Suzanne Giraudoux, puis trouver le financement : la distribution de la pièce est extensive, avec trente-neuf comédiennes et comédiens, ce qui alourdit le poids financier de la production. Décors, costumes, tout est à trouver dans une période où les restrictions sont encore très importantes…

Il se met alors à auditionner. Parmi les comédiens pressentis, il fait appel à Bernard Blier, son ancien élève du Conservatoire d’art dramatique (et qui tient le même rôle dans Entrée des Artistes). Il lui a aussi demandé de venir avec Gérard Philipe.

Bernard Blier se souvenait :

« Il y a eu une grande réunion, un dimanche, après la matinée de L'École des femmes à l'Athénée et il y a eu la lecture de la pièce, et Jouvet avait demandé à Gérard et à moi de jouer dans La Folle de Chaillot des panouilles [argot de théâtre : petit rôle, presque de la figuration] formidables. Gérard ne connaissait pas Jouvet, mais Jouvet avait entendu parler de Gérard et il avait très envie de l'avoir chez lui. Il nous a dit : Voilà, les enfants, il y a quatre lignes au I et deux lignes au II, etc. Et Gérard et moi avons lu ces quatre lignes au I et ces deux lignes au II, et je sentais que Gérard se foutait totalement de cette aventure, et en sortant, il m'a dit : Tu viens faire un carton. On s'est promenés pendant deux heures comme ça et on a fait des cartons, et puis on n'a jamais parlé de la pièce de Giraudoux qu'on n'a jamais jouée ni l'un ni l'autre, d'ailleurs. » (Syndicat national des acteurs, colloque Gérard Philipe, Bibliothèque du film, AGP200-B19, cité par Philippe Guérand, Bernard Blier. Un Homme Façon Puzzle, Robert Laffont, 2009.)

 

La première lecture de la pièce aura lieu le 20 juin, avec la distribution finalement retenue. Après trente lectures à la table, puis de nombreuses répétitions, la première publique a lieu le 22 décembre 1945 avec une répétition générale étalée sur les 19 et 20 décembre. Un « gala des Résistants de 1940 » a lieu le 21 décembre, devant le Général de Gaulle.

Le succès est exceptionnel : la presse est unanime. Mais ce n’est sans doute pas suffisant pour faire regretter aux deux jeunes comédiens leur absence de ce succès.

De ce triomphe ne restent que quelques images animées de quelques secondes (on peut les voir sur le site de l'INA) et des photographies.

 

La Folle de Chaillot aura été un autre rendez-vous manqué entre Jouvet et Philipe. Marcel Carné tenta de les réunir dans un film, Candide, d’après Voltaire, qui ne se fit finalement pas. Mais la figure du « Patron », qui surplombait le théâtre de son temps, a sans doute durablement marqué Gérard Philipe : il le citait à l’occasion et a sans doute lu ses écrits.

 

 

 

Illustration : programme de La Folle de Chaillot (collection personnelle).