Gérard Bonal est décédé le 13 juin 2022.
Cruelle injustice ! celui qui fit tant pour la mémoire de Gérard Philipe n’aura donc pas pu assister à ce centenaire de sa naissance…
Écrivain (romancier, essayiste), spécialiste de l’œuvre de Colette (il fut longtemps le président de la Société des amis de Colette), Gérard Bonal était aussi un remarquable biographe. En témoignent Colette intime (2004), Colette (2014), Les Renaud-Barrault (2000) et Simone de Beauvoir (2001). Il venait de publier un superbe Joséphine Baker, du music-hall au Panthéon (2021).
Spécialiste reconnu de la vie et de la carrière de Gérard Philipe, Gérard Bonal avait écrit une biographie du comédien qui fera date : Gérard Philipe, publié aux éditions du Seuil en 1994, était ressortie en 2019, enrichie d’un dossier détaillé sur le père de l’acteur, Marcel Philip, issu des archives familiales. Un Album Gérard Philipe (Seuil/Jazz Éditions) présentait ensuite un panorama biographique accompagné de photographies rares. Il avait également dirigé le catalogue sorti à l’occasion de l’exposition de la Bibliothèque nationale de France en 2003, Gérard Philipe, Un acteur dans son temps (éditions de la Bibliothèque nationale de France). (Olivier Barrot interviewait d’ailleurs Danièle Delorme dans Un Livre, Un Jour [lien vers la vidéo], en 2009, à l’occasion de la sortie du catalogue.)
Objectifs, fondés sur de nombreuses sources écrites et témoignages recueillis, contextualisés dans l’histoire de la période, ces ouvrages sont indispensables à ceux qui souhaitent replacer Gérard Philipe dans son temps, et son art dans son contexte.
Le biographe était interviewé par Notre Temps en juin 1994, expliquant l’origine de sa démarche et sa méthodologie.
« NOTRE TEMPS : Pourquoi avoir choisi Gérard Philipe alors que vous ne I’avez jamais rencontré ?
GÉRARD BONAL : J’avais 18 ans lorsque Gérard Philipe est mort. Pourtant, je l’ai vu plusieurs fois jouer au théâtre et je m’en souviens encore très bien. Et je suis passionné par les années cinquante dont il est, selon moi, la parfaite incarnation. Il catalyse tous les espoirs — tous les aveuglements aussi — de la jeunesse de cette décennie-là. Il mourut en 1959, une année qui marque une grande fracture politique puisque la France entra alors dans une ère nouvelle, celle du général de Gaulle, du nouveau franc, des Trente Glorieuses. L’artiste fait donc le lien entre la guerre et la fin de ce qu’on a appelé "l’après-guerre". C’est aussi en cela que son destin m’a passionné. Et arrivé au bout de l’écriture de ce livre, je n’ai pas été déçu par homme que j’ai découvert.
N. T. : Justement, dans votre livre, Gérard Philipe apparaît comme un être sans taches, sans défauts ?
G. B. : Oui, mais je crois réellement que c’est la vérité ! Beaucoup de ragots ont circulé sur lui, beaucoup de rumeurs. J’ai enquêté pendant des années, j’ai rencontré des dizaines de témoins, dont beaucoup furent très proches de Gérard Philipe, et il m’a été impossible de prouver ces médisances. Et comme je m’étais fixé, pour règle absolue, de n’écrire que des informations rigoureusement vérifiées, je ne les ai pas mentionnées. D’où, sans doute, cette image presque parfaite du personnage mais il était ainsi !
[Puis éléments biographiques sur Gérard Philipe] »
Brève revue de presse
À la sortie de cette biographie, la presse revenait sur la rigueur de cette biographie. En voici un bref florilège :
« Journaliste à "Géo", Gérard Bonal nous offre ici la biographie méthodique, détaillée, de ce grand garçon à la fossette éternellement adolescente […]. Un éclairage inédit [sur le drame familial], mais aussi le rappel d'une carrière comme il en existe peu, intelligente, exigeante, généreuse, éclectique dans une exemplaire qualité de choix. Un livre pour les anciens, qui y retrouveront leur jeunesse, et pour les jeunes, qui y découvriront une personnalité rare, inséparable de l'histoire politique et culturelle des années 40 et 50. » (Annie Copperman, Les Échos, 17 juin 1994)
[Avec des citations d’une interview de Gérard Bonal] « Gérard Bonal, journaliste au magazine Géo et auteur de cinq romans, vient de publier une biographie du jeune premier par excellence de la scène et de l'écran français. Trente-cinq ans après la mort de l'acteur, il retrace sa vie minutieusement, pendant plus de 300 pages. "À l'origine du livre, raconte Bonal, il y a ma passion pour les années 50, ma passion pour la période qui a suivi la guerre, l'occupation. Pendant cinq années nous n'avions rien pu faire, nous avions été sous la main de fer des Allemands, puis il y a eu la libération, le retour de l'argent, de la vie, des artistes, etc. Les dix ans qui ont suivi la guerre furent pour moi d'une extrême richesse politiquement et culturellement. Et Gérard Philipe est exemplaire de cette période."
En 1982, Gérard Bonal consacrait un essai à Colette […]. Or, Gérard Philipe a failli faire ses débuts au cinéma, pendant la guerre, dans une adaptation du Blé en herbe, de Colette, que Marc Allégret voulait réaliser. J'ai demandé à l'auteur si Colette l'avait conduit à Gérard Philipe. "Non. Au contraire, je me suis plutôt amusé à truffer le livre d'allusions à Colette." Alors, pourquoi Gérard Philipe aujourd'hui ? "Je l'ai vu quatre fois sur scène, et sa prestation aux côtés de Geneviève Page, dans Les Caprices de Marianne, fut à l'origine de ma première grande émotion au théâtre. À cela s'ajoute mon intérêt pour la période, le fait que ma mère m'a toujours parlé de lui, et aussi la dimension du personnage. La renommée actuelle de Depardieu n'est rien à côté de la sienne dans les années 50. Je dirais que seule Sarah Bernhardt a atteint ce niveau de popularité. Enfin, son engagement politique m'intéressait." […]
Même s'il associe cet engagement à ses rapports avec son père, Bonal refuse dans son livre de donner dans la psychanalyse à bon marché. "Je ne crois pas à ce genre d'histoire. Si je vous dis, maintenant, que Gérard Philipe s'est engagé pour contrebalancer l'action de son père, c'est parce que sans cette explication je ne comprends pas. Il n'y a rien, dans sa jeunesse, qui annonce cela. Aucun autre événement qui puisse fournir une explication valable."
Tout en ajoutant que les meilleurs amis de Gérard Philipe étaient des hommes plus âgés que lui […], Gérard Bonal explique qu'il n'a pas voulu, dans sa biographie, trop insister sur les effets de l'absence du père. "Mon rôle de biographe n'est pas d'avoir un avis. C'est plutôt de revenir aux faits. De faire la part des choses. Ainsi, le plus dur est d'établir la chronologie. Une fois qu'on a les dates, on peut tout vérifier. Le reste, c'est affaire de style. Mon tempérament c'est de faire court. D'écrire de manière elliptique, avec beaucoup de retenu. Je n'avais donc pas envie d'épiloguer sur ses motivations, comme d'ailleurs sur ce qu'il serait devenu s'il n'était pas mort si jeune, etc."
Et, effectivement, le livre se termine rapidement après la mort du prince des acteurs. À peine deux pages suffisent à Bonal pour résumer les réactions au décès ainsi que l'enterrement. "Vous savez, explique-t-il, je me suis beaucoup attaché à lui pendant les trois années où j'ai travaillé à ce livre. Au début je l'ai détesté parce que je n'arrivais pas à écrire, mais après il m'est devenu très cher. J'étais donc très ému en décrivant sa mort. C'est sans doute cela qui donne à mon récit un côté encore plus retenu. Une réelle émotion." » (Marcel Jean, Le Devoir, 2 juillet 1994)
« […] Dans l'élaboration de cette biographie, Gérard Bonal […] n'a négligé aucune source. Il a patiemment fouillé les archives personnelles et inédites de Gérard Philipe. Il a recueilli les nombreux témoignages de gens qui ont connu l'artiste dans sa vie privée comme dans sa vie professionnelle.
Il a aussi, et ce n'est pas son moindre mérite, situé cette vie exceptionnelle dans le cadre de l'Histoire de l'Europe en général, et celle du théâtre français en particulier, à cette époque effervescente et troublée […]. […]
Dans l'ensemble, l'ouvrage prend l'allure d'une minutieuse -et parfois un peu laborieuse- reconstitution des faits et événements qui ont marqué la vie et la carrière de son sujet. N'empêche. Il passionnera les vieux (vieilles) fans inconditionnels de Gérard Philipe, et ceux, parmi les plus jeunes, qui sont curieux de lui. » (Huguette Roberge, La Presse, 24 juillet 1994)
« […] Un ange qui avait les deux pieds sur terre. Car - et c'est le mérite de cette biographie signée Gérard Bonal, journaliste au magazine Géo, de le révéler — il fut un acteur engagé. […] Surprenant donc, le Gérard Philipe que l'on découvre au fil des pages de cette biographie qui rend nostalgique. […] » (Micheline Lachance, L’Actualité, 15 décembre 1994)
« […] Trois biographies célèbrent [la] mémoire [de Gérard Philipe] à l'occasion du 50e Festival. L'ouvrage de Gérard Bonal (Seuil/ Points) est le plus complet. Celui de Dominique Nores (La Manufacture), le plus attaché à suivre l'intensité de son travail de comédien. Et celui de Jean-François Josselin, tout petit, édité par Arte, est certainement le plus ému, le plus tendre hommage à l'inoubliable jeune homme "en exil au fond de l'univers". » (Christiane Duparc, L’Express, 18 juillet 1996)
Sur l’Album Gérard Philipe
« […] Cet album souvenir, dû à Gérard Bonal, rassemble des photos de sa jeunesse, avec sa mère qu'il adorait, de sa vie heureuse en famille avec sa femme Anne et ses deux enfants, Olivier et Anne-Marie, aujourd'hui comédienne, et des grands moments de sa carrière. Puisées souvent dans les archives familiales et dans des collections privées, elles sont pour la plupart inédites. » (Les Échos, 16 décembre 1999.)
À l’occasion de l’exposition de la Bibliothèque nationale de France :
[Avec des propos de Gérard Bonal] « L'ange souverain du Théâtre national populaire dirigé jadis par Jean Vilar renaît à Paris, à travers costumes, lettres et extraits de films, le temps d'un hommage qui n'occulte pas les parts d'ombre du héros. […]
Son biographe Gérard Bonal résume : "Il a fait corps avec les années 50, cette IVe République, qui naît en 1946 et s'achève en 1958 avec le retour au pouvoir du général de Gaulle. Il l'incarne artistiquement, par son choix de rendre plus accessibles les classiques, avec son frère en théâtre Jean Vilar. Il l'incarne politiquement par son engagement à gauche, aux côtés notamment d'Yves Montand ou de Simone Signoret, engagement qui, avec le recul, s'apparente à une erreur. Une certitude : il était celui qu'on attendait."
C'est cette jeunesse suspendue, sanctifiée parce que jamais consumée, que l'exposition Gérard Philipe déroule à Paris à la Bibliothèque nationale de France. Non pour feuilleter avec la révérence qui sied dans les cathédrales l'hagiographie de l'archange. Mais pour témoigner d'un éblouissement collectif. Et pour ne rien cacher des blessures de l'artiste. Gérard Philipe était bien le fils de son époque : trop heureux pour ne pas connaître un instant l'abîme, un père pétainiste et condamné à mort par contumace ; trop tourné vers la vie ensuite pour expier une faute qui n'était pas la sienne. […]
Gérard Bonal confirme : "Gérard Philipe cristallise toutes les aspirations physiques et spirituelles de son temps. Il n'est certes pas physiquement parfait, surtout pas au début. Rien à voir avec Jean Marais, dont la beauté était presque inhumaine. Mais Gérard Philipe est un acteur supérieur, qui acquiert rapidement une aura mythique. Je ne vois personne après lui en France qui ait eu cette dimension. Un Alain Delon par exemple, qui lui succède dans les cœurs, est porteur d'autres valeurs. Il n'y a pas de spiritualité chez lui : il vient d'une banlieue pavillonnaire et cultive une combativité qui tient à ses origines. Il incarne les temps nouveaux, pas la culture classique. Pour trouver des alter ego à Gérard Philipe, il faut traverser l'Atlantique : Marlon Brando notamment."
Mais que représente encore aujourd'hui Gérard Philipe ? "Il est exemplaire parce qu'il n'a pas cherché à faire carrière en solitaire, mais à bâtir un théâtre avec Jean Vilar, observe Gérard Bonal. Il appartient à une génération où l'aventure collective prime. Mais il y a autre chose : il reste sans tache, contrairement à moult stars dont les coulisses ne sont pas resplendissantes." C'est peut-être cela le charme inaltérable de Gérard Philipe : une intégrité préservée, avec sa part de chagrin sublimée. […] » (Alexandre Demidoff, Le Temps, 20 décembre 2003)
Sur la réédition de la biographie :
« […] Dans son impeccable biographie de l'acteur, rééditée ces jours-ci revue et augmentée, Gérard Bonal revient longuement sur le "dossier Marcel Philip". Il semble que le père du comédien ait été avant tout victime de ses mauvaises fréquentations, tout autant que de son fourvoiement politique. Bonal décrit un univers d'affairistes, d'aventuriers sans scrupules, de margoulins abjects gravitant, comme dans un roman de Modiano, au sein d'un paysage clair-obscur qui causera la perte de Philip. Son fils ne l'oubliera pas ni ne le reniera, subvenant à ses besoins, lui rendant fréquemment visite. Sa dernière lettre, l'avant-veille de sa mort, sera pour lui. […] » (Olivier Mony, Le Figaro Magazine, 14 novembre 2009)
Interviews de Gérard Bonal (sur Gérard Philipe)
Gérard Bonal était l’invité de l’émission 2000 ans d’histoire, de Patrice Gélinet, sur France Inter, le 25 novembre 2009. Vous pouvez réécouter cette émission ICI.
Gérard Bonal est également interviewé en seconde partie de la dramatique radio Rendez-vous avec le Cid , sur France Inter, le 25 septembre 2015.
On peut également le retrouver dans les suppléments aux DVDs ou blu-rays suivants :
· L’Idiot (DVD et Blu-ray Doriane-CapuSeen, texte dans le livret)
- Le diable au corps ( DVD Universal 2009)
· Une si jolie petite plage ( DVD ou Blu-ray Pathé 2014)
· La Beauté du diable (DVD ou Blu-ray Gaumont)
· Fanfan la Tulipe (DVD américain Criterion Collection) dans « Gérard Philipe: Star, Idol, Legend ».
· Les Orgueilleux (DVD + Blu-ray Pathé 2013)
· Le Joueur (Blu-ray Gaumont « Découverte » 2014)
· La fièvre monte à El Pao (DVD et Blu-ray Pathé 2013
On peut aussi revoir le documentaire réalisé par Michel Viotte et Gérard Bonal, Gérard Philipe, Un homme, pas un ange (2003), sur VIMEO.
Illustrations : © DR – Gérard Bonal (capture d’écran de Gérard Philipe: Star, Idol, Legend © Criterion Collection)
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