La célébrité a bien des désavantages… Alors qu’il est en déplacement privé, Gérard Philipe est reconnu dans un restaurant. S’ensuit alors une brève interview du comédien : ce dernier, à l’affiche du cinéma local, s’étend davantage sur la décentralisation théâtrale que sur ses propres projets…. Et voilà comment une vedette se retrouve dans les pages de la presse régionale !
« Dans la salle du Relais de France, le restaurant de la rue Ange de Guernissac où officie M. Deus, les convives sont à l’heure du café et commente à discuter de l’emploi du temps de leur après-midi.
— Si nous allions au cinéma voir Gérard Philipe dans "Belles de Nuit" ? C’est excellent, nous a -t-on dit …
Dans la glace murale, la silhouette d’un nouveau client vient de se refléter. Est-ce une illusion des sens ? On dirait Gérard Philipe, se dit chacun intérieurement.
Dans la cuisine, dans la salle, la même idée s’est répandue. On se concerte… et le client qui vient de s’attabler sans se soucier de la curiosité qu’il vient de déclencher est le point de mire général. Même allure, même jeu de physionomie… Il n’y a pas de doute : c’est lui.
— Pardon monsieur, n’êtes-vous pas Gérard Philipe ?
— Oui.
— Oui, c’est lui, poursuit son compagnon qui est entré en même temps que lui. Il a le droit de venir ici… Il a quitté Paris pour fuir les journalistes…
— Pas de chance, M. Gérard Philipe, vous en avez un devant vous.
[Il] ne se démonte pas. Avec la gentillesse et l’amabilité qui le caractérisent, il accepte de subir l’interview.
— Comment se fait-il que vous soyez à Morlaix ?
— J’avais quelques jours de libres et des amis à voir dans la région. Je suis venu, je repars et voilà…
— Vous allez y rester, cher monsieur, puisque ce soir on joue Belles de Nuit et la semaine prochaine Fanfan la Tulipe.
Gérard Philipe en est ravi.
Mais c’est lui qui nous pose des questions :
— Y a-t-il des spectacles ici ? Avez-vous des tournées théâtrales ? Le Centre Dramatique de l’Ouest, dont d’ancien acteurs comme Jean-Pierre Darras, Jacques Amyrian et Georges Wilson sont avec moi au Théâtre National Populaire, est-il venu ici ? A-t-il obtenu du succès ? Je l’intéresse à cette question, poursuit-il, parce que le Théâtre National Populaire est dans le fond un grand centre de province qui a son siège à Paris. J’estime beaucoup le travail effectué par les Centres de Province.
Et, puisque nous parlons théâtre, nous demandons à Gérard Philipe quels sont ses projets.
— Je rentre à Paris pour répéter Lorenzaccio, d'Alfred de Musset, que jusqu'ici je n'ai joué qu'à Avignon. C'est un rôle que j’aime beaucoup. Je poursuis également tout le cycle des spectacles du Théâtre National Populaire : Le Cid, Le Prince de Hombourg, La Mère Courage, Nucléas [sic], etc... Rayon cinéma, je dois aller au Mexique avec Michèle Morgan tourner un film dont le scénario est de Jean-Paul Sartre, sous la direction de Marc Allégret.
Gérard Philipe, qui aime également théâtre et cinéma, nous parle de l'expérience du T.N.P. qu'il voudrait voir se poursuivre longtemps avec son ami Jean Villard [sic].
Mais l’heure tourne et il doit partir...
— Dites à vos lecteurs que je trouve Morlaix très agréable et très pittoresque.
Deux autographes, une photo, un magnésium. Gérard Philipe est parti.
Dans la rue, malgré que son visage soit reproduit sur tous les murs, personne ne le reconnaît. Chacun se hâte d'aller au cinéma où il doit vivre les aventures de Claude, le musicien des Belles de Nuit… » (J-P. C., Ouest France, 9 février 1953.)
Le scénario de Sartre, Typhus, deviendra finalement Les Orgueilleux. (Pour une opération publicitaire sur ce film, voir ce billet de blog.)
En 1959, Gérard Philipe, premier président du Syndicat national des Acteurs présentera à André Malraux un projet de décentralisation théâtrale pour le théâtre et l’opéra. La France aurait été « divisée en huit ou dix régions théâtrales », avec la création de troupes dans les capitales régionales : « quatre, cinq ou six (Opéra, opérettes, comédie moderne, théâtre classique, etc.) Elles "tourneraient" dans la "région". Des échanges inter-régionaux seraient prévus. Des crédits d’équilibre suffisants pourraient être assurés à ces diverses "régions" par prélèvement sur les énormes subventions versées annuellement aux seuls théâtres parisiens. Bien entendu, on tiendrait compte de l’existence des troupes et des foyers théâtraux actuels au moment de la mise à exécution de ce "plan de rénovation théâtrale". » expliquait alors Le Méridional, du 9 janvier 1959. En somme, c’était presque la décentralisation lancée ensuite par André Malraux.
Les prémices de ce plan se formaient-ils déjà dans l’esprit de Gérard Philipe ? Sans doute que non, mais le comédien, si engagé aux côtés de Jean Vilar, pour la démocratisation du théâtre, témoigne déjà de ces préoccupations…
Source de l’article de presse : Bibliothèque nationale de France (photo de Ouest France). – carte postale de Morlaix, date inconnue © D. R.
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