1954 – Faux départ pour vrais "Orgueilleux"

affiche Les Orgueilleux d'Yves Allégret avec Gérard Philipe

Les exigences des publicistes sont parfois impénétrables… Comme l’admettait Gérard Philipe en 1959, « elle est nécessaire ». Exemple édifiant et assez drôle le 17 mars 1954, avec un « départ » en fanfare – ou plutôt en flashes – des vedettes Michèle Morgan et Gérard Philipe pour le tournage des Orgueilleux, film tourné au Mexique par Yves Allégret.

Départ qui n’en est pas vraiment un… et qui est moqué par cet article assez ironique (article glissé dans un dossier de presse de ma collection). À voir la figure un peu contrainte des deux acteurs, pas sûr que l’exercice ait été à leur goût… Mais le statut de vedette a ses contraintes. En 1956, Philipe répondait à Pierre Billon avec une bonne dose de lucidité :

« Des servitudes [de l’état de vedette] ? Par exemple, ce matin, j’ai été obligé de me lever tôt pour faire des photos pour un magazine. Des satisfactions d’amour-propre, il y en a, c’est certain. Le moment où la vedette manifeste un certain dégoût ou un certain mépris pour l’enthousiasme du public indique que son standing est au meilleur point et qu’elle peut se permettre d’être méprisante. Le moment où la faveur du public se retire retrouve la vedette en plein désarroi et lui fait rechercher à nouveau cette faveur. » (Cité dans Cinéma 56, reproduit dans Gérard Philipe par Georges Sadoul, Seghers, 1967, p. 134.)

En mars 1954, Gérard Philipe venait d’essuyer deux échecs au théâtre avec ses mises en scène de Nucléa et de La Nouvelle Mandragore de Jean Vauthier, dont les textes n’avaient pas convaincu…

faux départ Gare Saint-Lazare avec Michèle Morgan et Gérard Philipe

Dans un wagon immobile, Michèle Morgan et Gérard Philipe ne partent pas pour le Mexique

« Ce que l’on peut dire, sans inexactitude excessive mais sans vouloir prétendre à la clarté, c'est que Michèle Morgan et Gérard Philipe vont au Mexique pour tourner un film adapté de l’œuvre de Sartre "Le Typhus". C’est en Chine que sévissait le typhus. À être transféré au Mexique (pour des raisons d'économie et, sans doute, de facilités de transit), ce "Typhus", mis en scène par Yves Allégret, s'intitulera "Les Orgueilleux".

Précision : on n’installera pas au Mexique des décors chinois. Ce Mexique sera mexicain. "Les orgueilleux" ? Michèle Morgan, Gérard Philipe, sans doute. Le sujet ? Autant que l’élocution restreinte, hier matin, des deux vedettes permette d’en donner un vague aperçu. Il s’agirait de l’histoire de deux êtres déchus que leur rencontre — dans un grouillement de bacilles de typhus — métamorphose et exalte...

Mais ce ne sont là que détails. Les mots importent peu. Seuls prévalent les sourires. Et quelles ressources de sourires, illuminés par les "flashes" des photographes, chez Michèle Morgan et Gérard Philipe...

Sourires, sourires, sourires

C'est dans un wagon-restaurant sans train (isolé donc) à proximité de la voie qu’emprunte le rapide "Transatlantique", que Michèle Morgan et Gérard Philipe transmirent ces indications, en jouant gare Saint-Lazare une curieuse scène d'adieu à Paris.

Il n’y avait point de cameras, ni de sunlights, mais, encore une fois, que de photographes, et des journalistes (priés de recueillir de la bouche des deux vedettes, des réflexions que les populations laborieuses ne pouvaient décemment ignorer) dans ce wagon-restaurant immobile où l'on s’écrasait, comme en une cabine de transat, dans certain film des "Marx Brothers" !

Comment Michèle Morgan et Gérard Philipe réussirent-ils à prendre leur petit déjeuner en souriant, à parler, en souriant, elle, à offrir aux photographes son translucide regard de pervenche, lui, son fin visage (romantique), en souriant toujours ? L’habitude, peut-être… Une habitude que partage Henri Vidal, qui serrait la main de Gérard Philipe en souriant et embrassait, en souriant encore et toujours, jusqu'à l’éternité, Michèle Morgan, tailleur crème couleur de son teint de crème...

Et je ne sais aussi comment notre ami Saint-Paul parvint à les photographier, et non pas simplement à photographier, dans cet espace réduit et encombré, ses confrères qui photographiaient.

Un grand départ

Henri Vidal ne partait pas. Il accompagnait les partants à la gare. Il jouait plus exactement celui qui accompagne, puisque les "autres" en fait ne s’en allaient pas.

Il importe ici de donner, au plus tôt, quelques explications relativement édifiantes.

Certes, le train transatlantique partait ce matin-là. Cela n’avait rien d’extraordinaire. Mais enfin le communiqué qui le précisait ne comportait pas d’inexactitude. Ce communiqué d'ailleurs ne précisait pas que Michèle Morgan ou Gérard Philipe partiraient par le train. On ne peut donc qu’accuser sa propre naïveté de cette confusion.

Michèle Morgan est partie par la route vers Le Havre. Gérard Philipe, lui, s’en ira au début avril. Il s’agissait en somme, d’une "mise en scène". ("Tellement amusant", susurra une admiratrice.) "Je pars ! Je pars ! Je pars !" hurle dans un film des Marx Brothers (encore) un chanteur d’opéra qui ne bouge pas... Mais qui pourrait nier qu’ainsi un départ ne passe pas inaperçu ? » (Eugène Mannoni, source inconnue, (?) mars 1954)

 

Certains des photographes présents travaillaient pour Gamma-Keystone et l’on peut voir ces clichés en ligne sur le site de l’agence Getty : photo 1 (où l’on voit bien l’effervescence des photographes), photo 2, photo 3 et photo 4. L’homme figurant derrière les deux acteurs est identifié comme étant le producteur Raymond Borderie.

Gérard Philipe était d’autant moins sur le départ en ce 17 mars, qu’il jouait effectivement en soirée au Palais de Chaillot : il interprétait Tellur en face de Françoise Spira qui interprétait Yllen (ce rôle avait été créé par Jeanne Moreau) dans Nucléa d’Henri Pichette. En mars 1954, il alternait entre Le Prince de Hombourg, Le Cid, Nucléa et Lorenzaccio au théâtre. Il partit effectivement pour le Mexique le 1er avril, ce qui arrêta cette série de représentations très courues, au grand dépit de Jean Vilar. Le comédien ne retrouvera la troupe du T.N.P. que le 15 juin à Hambourg, avec le Prince de Hombourg.

Et, pour ceux qui ne connaissent pas l’hilarante et iconique scène de « cabine de transat, dans [un] certain film des "Marx Brothers" », soit A Night at the Opera (Une nuit à l’Opéra), la voici !

 


 

Illustration : affiche des Orgueilleux (© DR) – photographie figurant dans la coupure de presse non référencée (© DR)

 

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