En novembre et décembre 1951, le mariage (mouvementé) de Gérard Philipe fait couler beaucoup d’encre… Parmi les articles plus ou moins bienveillants, la redoutable « Viviane Papote » (signataire de la rubrique à ragots du magazine Cinémonde) l’évoque dans une parodie du Cid, pièce de Corneille dans laquelle Gérard Philipe triomphe avec le tout nouveau Théâtre National Populaire.
Seuls les passages mis en italiques gras ont été modifiés par rapport au texte originel (que l’on peut lire ICI).
« CHIMÈNE (Nicole Fourcade).
Gérard, qui l’eût cru...
RODRIGUE (Gérard Philipe).
Nicole, qui l’eût dit...
CHIMÈNE (Nicole).
Que notre heur fût si proche et si tôt se perdit...
RODRIGUE (Gérard)
Et que si près du port, contre toute apparence
Un objectif si prompt brisât notre espérance.
CHIMÈNE (Nicole)
Ah ! cruels reporters !
RODRIGUE (Gérard)
Ah ! journaux superflus !
CHIMÈNE (Nicole)
Encore une édition, nous n’échapperons plus !
RODRIGUE (Gérard)
Ah Dieu ! je vais traîner une mourante vie
Tant que par leur poursuite, elle me soit ravie.
CHIMÈNE (Nicole)
Depuis que ce matin je t’ai donné ma foi
Je ne respire plus un moment près de toi
Adieu, sors, et surtout garde bien qu’on te voie.
LA DAME DE COMPAGNIE
Madame, un journaliste que l’Enfer nous envoie...
CHIMÈNE (Nicole)
Ne m’importune plus, laisse-moi soupirer,
Je cherche le silence et la nuit pour pleurer.
Ceci est la scène IV de l’acte III du "Cid", écrite par Pierre Corneille en l’an 1636 (avec un sens prophétique certain) et très légèrement retouchée par votre servante (des trente-huit mots imprimés en italique seulement).
Cette scène a été jouée au naturel le fatidique jeudi 29 novembre vers midi. Ce jour-là, à 9 h. 30, après un petit déjeuner familial, Gérard Philipe a épousé Mme Nicole Fourcade-Navaux, sa fiancée. Tous les journalistes furent dépistés par le fils de René Clair qui fit entrer les deux futurs époux par la porte de derrière de la mairie de Neuilly.
Ravis de leur coup, tous les membres de la famille Philipe sont allés déjeuner à Montmartre. Là, les drames ont commencé, les photographes alertés ont voulu mitrailler nos tourtereaux dès les huîtres ; au tournedos, Gérard commençait à boxer. Avant le dessert, toute la table était dispersée et fuyait en taxi et en métro. Gérard Philipe avait fait le mariage le plus mouvementé (et le moins discret) de l'année !
La veille au soir, j’avais envoyé un pneu[matique = télégramme] à notre héros. Sa fiancée m’avait appelée pour me dire que Gérard, absent, me téléphonerait le lendemain.
— Avant 10 h. 30 si possible, dis-je.
— Pensez-vous, répondit-elle d’une voix d’ange, à cette heure-là, il dormira !
Il paraît que Nicole Philipe a passé une audition pour entrer dans la troupe du Théâtre National Populaire aux côtés de son époux. Je suis sûre qu’elle sera une excellente comédienne !
Pour ne pas quitter notre "Cid", un petit garçon qui était venu l’applaudir jeudi au théâtre de Suresnes, a conclu en soupirant après avoir assisté aux deux heures de tragédie galopante :
— Tout ça, pour une gifle !
[…] » (Signé : Viviane Papote, Cinémonde, 8 décembre 1951).
Cet article acerbe témoigne de la rancune de journalistes qui faisaient de la vie privée des vedettes de cinéma (plus ou moins complaisantes) leur fond de commerce. Beaucoup de stars satisfaisaient la curiosité du public, afin d’assurer leur présence dans l’actualité et la continuation de leur célébrité.
S’il affirmait que la publicité était nécessaire à une carrière de comédien, Gérard Philipe refusa de franchir la ligne rouge et à dévoiler son intimité réelle aux curieux. L’année précédente, il disait encore à un journaliste, lors d’une interview : « Les anecdotes qui ont trait à ma vie privée ne regardent que moi ; les autres sont démodées. ».
Illustration : Gérard Philipe, son épouse Anne, René et Bronia Clair, le jour du mariage des Philipe, photographie parue dans Elle (10 décembre 1951) © Gallica-Bibliothèque nationale de France.
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