Horreur pour les admiratrices de Gérard Philipe ! Le 29 novembre 1951, il épouse Nicole Fourcade, née Navaux, à Neuilly. La cérémonie est ultra-privée : les mariés, leurs témoins sont seuls présents.
Les nouveaux mariés vont ensuite petit-déjeuner chez leurs témoins, en voisins : en effet, il s’agit de René Clair et de son épouse Bronia, qui habitent également Neuilly.
Hélas, leur fils est photographe professionnel… Et c’est ainsi qu’un cliché très privé se retrouve dans la presse ! On a peine à croire que les Philipe, qui avaient tant protégé leur intimité, aient pu être partie prenante dans cette parution…
Triomphalement, Elle (10 décembre 1951) peut ainsi faire paraître, assorti d’une grande photographie :
« Dans le plus grand secret, Gérard Philipe, artiste dramatique, a épousé Mme Nicole Navaux, sans profession, le jeudi 29 novembre à la Mairie de Neuilly-sur-Seine, à 9 h. 30 du matin. Étaient seuls présents et témoins au mariage : M. René Clair et leur fils, Jean-François Clair. Jean-François est aussi — quelle chance !— notre photographe. Aucun membre des familles, aucun invité, aucun journaliste et ami, aucun photographe n'assistait à la cérémonie qui a pris exactement 4 minutes 1/2 et a été suivie d'un petit déjeuner à cinq (plus Bijou, le caniche) chez les René Clair.
Menu : jus d’orange, café au lait, pain, beurre, miel et fruits.
Incident technique : l’alliance du jeune marié était trop grande ; il l’a passée à son pouce (voir photo). Les jeunes mariés habitent, boulevard d'Inkermann, un appartement composé de 4 pièces et deux terrasses. »
Les remous entourant cette cérémonie donnent aussi lieu à des reportages dans la presse, montrant bien quels sont les désavantages de l’immense célébrité de l’acteur :
« À propos d’un mariage récent il me vient à l’esprit quelques considérations sur la grandeur et les vicissitudes du métier de vedette. La presse a fait grand cas, et pas toujours aimablement il faut le dire, du mariage presque secret qui a uni Gérard Philipe, notre jeune premier N° 1 et Madame Nicole Fourcade, récemment divorcée et mère d’un jeune enfant. Les journalistes en avaient eu vent par des on-dit, malgré l’absolue discrétion du jeune et brillant acteur. [….] Le jour du mariage, les reporters-photographes assiégèrent le restaurant montmartrois, après avoir vainement cherché à photographier le jeune couple légitime à sa sortie de la Mairie de Neuilly. L’interprète de "La Beauté du Diable" faillit faire très mauvais parti aux journalistes. Il y eut des horions échangés après des menaces véhémentes. Gérard Philipe, qui voulait des noces discrètes, les eut mouvementées. » (Lucie Derain, La Vigie marocaine, 18 décembre 1951.)
Mais les conséquences de cette « chasse au couple » dépassent le simple harcèlement et les échanges de coups, comme le relate (avec une certaine jubilation) « La colonne d’Amphitryon », publiée dans Paris-presse, l’Intransigeant, le 1er décembre 1951… (L’article étant tronqué, certains mots de la colonne de droite sont reconstitués entre crochets.)
Le journaliste, qui signe d’un pseudonyme, se donne le beau rôle, conseillant soi-disant Gérard Philipe ! On a peine à le croire… Et les détails qu’il donne de la folle chasse faite à Anne Philipe met à mal son compte rendu supposément objectif : « Amphitryon » a bien collecté des ragots pour écrire son entrefilet publié dans la rubrique des « potins »…
On ne peut qu’être indigné devant cet acharnement délétère et dangereux. Voyez plutôt :
Gérard et Nicole Philipe n’ont pas pu passer ensemble le premier soir de leur mariage
« Le premier soir de leur mariage a été pour Nicole et Gérard Philipe le premier soir qu’ils n’aient pas passé ensemble depuis de longues années. Effrayé par la publicité faite hier après-midi à leur hymen clandestin et par le désarroi dans lequel la folle poursuite des journalistes a plongé sa jeune femme, Gérard Philipe a pris hier soir une décision héroïque. Par mon intermédiaire il lui a demandé de quitter Paris.
Le lieu de cette retraite est évidemment un grand secret mais Gérard Philipe compte bien pourtant rejoindre le foyer conjugal chaque jour. Il est même probable qu’il mettra lui-même un terme à cette demi-séparation bien avant le délai fixé : dès que la curiosité publique se sera un peu émoussée.
Cette curiosité, Nicole Philipe l’éprouva une dernière fois hier soir, à 6 heures, quand elle alla embrasser Gérard Philipe dans sa loge du théâtre de Suresnes. Après avoir déjeuné avec lui dans un restaurant de la place Clichy et y avoir subi un premier assaut des photographes, elle était venue à Suresnes assister une nouvelle fois au merveilleux spectacle de son mari jouant "Le Cid" : sa mère, une minuscule et charmante vieille dame aux cheveux tout blancs, l’avait accompagné. Mais le théâtre était comble et Nicole dut se contenter d'une chaise de jardin rapidement dressée pour elle dans une travée.
Après la pièce, elle courut retrouver Gérard, fixa avec lui leur premier rendez-vous secret et, au volant du vieux coupé Ford de son mari, parti vers une destination inconnue.
Dans son trouble, elle faillit heurter une camionnette dans le bois de Boulogne et elle rata de près un cycliste infortuné sur la place de l’Etoile où elle ne manqua pas, en revanche, de provoquer un embouteillage assez réussi.
Gérard Philipe, lui, dîna dans le café voisin du théâtre avec les comédiens qui venaient de jouer "Le Cid" avec lui. Pleins de tacts, ses amis ne firent pas la moindre allusion à la cérémonie du matin. Toute la conversation tendit à é[lucider le ?] mystère du rire sonore qui [???] le public de Suresnes depuis [trois ?] jours chaque fois que Chimène lance le cri fameux : "Exécrable assassin d’un héros que j’adore."
Après son repas frugal, Gérard Philipe joua à nouveau "Le Cid". Mais, au deuxième acte, sa voix faiblit brusquement. Ce n’était pas l’émotion mais une simple laryngite. Et, à minuit, c’est tout emmitouflé de foulards, qu’il partit, seul, vers son appartement de Neuilly. »
[Légende de la photo] Tandis que Gérard Philipe s’en allait tout seul (photo du haut [photo tronquée, donc non reproduite]), sa femme, accompagnée de sa mère, dissimulait son visage derrière son chien.
La jeune femme avait déjà suscité la vive curiosité de la presse lors du premier « week-end de Suresnes », lorsqu’on l’avait photographiée dansant avec son futur mari…
Ailleurs, la presse s’amuse de ce battage, soit par des dessins humoristiques, soit par des raccourcis ironiques et parfois peu flatteurs :
Carrefour, 5 décembre 1951
Dessin de Ange-Michel.
Mais d’autres chroniqueurs pointent les dérives de la presse et le jeu ambigu de certaines vedettes pour protéger leur vie privée :
« Quand les acteurs de théâtre (qui ne sont pas en même temps vedettes de cinéma), se marient, cela fait généralement moins de bruit. Une preuve de plus de "l’audience" que la grande presse — donc le grand public — accorde aux demi-dieux du cinéma. […] Sans vouloir trancher pour ou contre la publicité souvent insistante et gênante que l’on offre ou impose aux vedettes en rançon de leur popularité, on peut dire que les "stars" du cinéma inspirent et parfois provoquent de telles indiscrétions de la grande presse par leurs propres déclarations, par les interviews souvent retentissantes et les photos quelquefois abusives qu’elles laissent prendre de leur vie très privée. Quand on laisse l’hydre moderne du journalisme grignoter un ongle, c’est tout le corps qui y passe. » (Lucie Derain, La Vigie marocaine, 18 décembre 1951.)
Gérard Philipe, quant à lui, ne jouera jamais ce jeu-là : il mettra au contraire toute son énergie pour protéger sa famille d’une curiosité déplacée, au point de se voir attribuer dès 1952 le Prix Citron qui « récompense » les personnalités les moins coopératives vis-à-vis de certaines demandes de la presse…
Illustrations : © Bibliothèque nationale de France