Voici comment le magazine féminin La Femme (du 21 novembre 1945), fait le portrait du jeune premier, mi-ange mi-démon, mais surtout héros dans la vie… présenté comme l’une des deux « coqueluches de Paris » avec Lise Topart.
Portrait effectivement flatteur de la future vedette, qui insiste sur l’ambivalence de sa persona et sur ses ambitions théâtrales. Mais cet Hamlet que rêvait d’incarner Gérard Philipe, il ne le jouera jamais… Un projet était en cours à son décès : il aurait dû jouer le prince danois sous la direction de Peter Brook pour le TNP en 1960…
Une photographie le représentant dans la variation « ancienne » et romanesque de son double personnage du Pays sans étoiles, complète cette brève présentation qui cimente l’aspect « angélique » de sa persona. Mais Hamlet pouvait-il être angélique ? (Contrairement à sa collègue, il est présenté en costume et non en tenue de ville, ce qui peut s'expliquer par la promotion en cours. A moins que le jeune acteur ne soit déjà identifié à un univers littéraire ?)
« C’EST notre futur Hamlet. Il aime les rôles tragiques, un peu étranges, un peu maladifs et méchants. Caligula lui va comme un gant. Il représente de façon inquiétante cet empereur solitaire et sadique, héros de la pièce d'Albert Camus, représentée en ce moment, au théâtre Hébertot, et un des succès de la scène parisienne.
Gérard Philipe souhaite qu'on lui confie un jour le rôle du héros shakespearien. Mais pour Hamlet, comme pour Caligula, il a un sérieux défaut — qui lui passera. Il est trop jeune. Il n’a que 22 ans. Caligula à 27 ou 28 ans. C’est aussi l’âge théorique d'Hamlet.
Et le rôle d'Hamlet ne se donne qu’à un acteur arrivé, célèbre, au sommet de sa carrière.
Gérard Philipe n’est qu'un débutant, si on compte ses rôles. Mais il est déjà arrivé et célèbre. Il a commencé d'une façon fulgurante, tout en haut de la hiérarchie — céleste, en tout cas. C'était lui l'archange (sic) dans Sodome et Gomorrhe, la dernière pièce de Jean Giraudoux. Il était cette silhouette blanche et fine tombant du ciel, abruptement, implacablement, au milieu des hommes qui ne savent pas s'entendre et trouver l'amour et la paix.
Le voici maintenant une sorte d'archange noir, esprit du mal, indécis, plein de tics. Le rôle est difficile et il lui donne une vie plausible.
Entre les deux pièces, il a fini brillamment le Conservatoire. C'est un Provençal et il a fait ses débuts dans Une grande fille toute simple, en province et en Suisse, pendant l'occupation.
Gérard Philipe a tenu aussi un autre rôle. Dans les sous-sols de l'Hôtel de ville, pendant l'insurrection, on l’apercevait, ivre de fatigue et de sommeil, comme tous les combattants. Mais personne ne dormait ni ne se reposait. Il avait la charge de veiller au ravitaillement de ses camarades. »
Illustration : © Gallica-Bibliothèque nationale de France
Commentaires
Enregistrer un commentaire