Avec un article sur une double page, l’hebdomadaire féminin Elle du 19 octobre 1948 proposait à ses lectrices un sujet de choix : « Le plus prodigieux des jeunes premiers : Gérard Philipe vous ouvre son cœur et ses armoires » !
Sujet d’ailleurs très largement publicisé dans la presse quotidienne, comme le fait apparaître cet encart paru dans Paris-presse l’Intransigeant du 20 octobre 1948 !
Après une brève biographie (dont l’exactitude n’est pas la vertu principale… voir ici pour une vision plus juste des événements), Gérard Philipe joue le jeu des questions-réponses dans une brève interview, apportant quelques éléments intéressants sur sa philosophie de carrière. Sans doute, en répondant qu’il s’étonnait le plus de « la dissociation du personnage, créé par les journaux, d’avec moi-même » pensait-il aussi à ce type d’article pourtant nécessaire pour « créer du lien » avec une partie de son public !
Au sein du récit de cette jeunesse idéale et « angélique », le ou la journaliste (qui signe « CHEVALIER ») a sans doute confondu les « treize desserts » provençaux de Noël avec les friandises dominicales !
Voici la première partie de cet article :
« Son histoire
"C’est un ange !" dit Mme Philipe en regardant son nouveau-né le 4 décembre 1922, à Grasse. Les parents de cet ange étaient propriétaires du Parc-Palace Hôtel. M. Philipe prénomma son second fils Gérard, et Mme Philipe baptisa l’ange "Gégé". Il était gourmand (il l'est toujours). Chaque dimanche, chez sa grand-mère, il mangeait treize desserts. C’est chez elle qu’il découvrit le soufflé au fromage : c’est son fameux soufflé "à la Vaudoise".
Sa mère lui annonçait le succès en lui tirant les cartes : trèfle, cœur, as, argent, amour, chance.
La guerre. Elle amène dans le Midi tous les gens de cinéma. Notamment Marc Allégret et sa femme s'installent à Grasse, chez des amis, les Chiris. Un soir (heureusement) Mme Allégret a envie de se faire tirer les cartes. Arrivée de tout le monde chez les Philip au Parc-Palace Hôtel. "Gégé" récite à Allégret (sur les conseils de sa mère) un petit poème Le Poisson rouge ; le metteur en scène lui demande d’apprendre une scène d'Étienne. Allégret est conquis.
"L’ange" refuse de tourner avec "La Divine"
Claude Dauphin, J. Wall, André Roussin se le renvoient : résultat, il débute dans la pièce de Roussin : Une grande fille toute simple et tourne dans Les Petites Filles du quai aux Fleur avec Allégret. Il a 20 ans et mesure 1 m. 83. Tournée de Une grande fille toute simple. A Lyon, il rencontre le metteur en scène et décorateur Douking qu’il enthousiasme : « Passez donc me voir, si vous montez à Paris. En août 1943, "Gégé" revoit Douking chez Hébertot. On prépare Sodome et Gomorrhe. Edwige Feuillère le croise et dit :
— C’est un ange !
— Oui, dit Hébertot, le nôtre.
Et Gérard Philipe joua l’Ange de Sodome et Gomorrhe. Puis ce fut au cinéma : Pays sans étoiles, avec Jany Holt ; L’Idiot, avec Edwige Feuillère ; Le Diable au corps, avec Micheline Presle ; La Chartreuse de Parme, avec Maria Casarès et Renée Faure. Puis au théâtre : Les Épiphanies, avec Casarès ; l’inoubliable Caligula et K. M. X. Labrador, avec Claude Génia. De nouveau, au cinéma, il tourne : Une si jolie petite plage (qui sortira cet automne), avec Madeleine Robinson, et il tourne actuellement un film comique Tous les chemins mènent à Rome (avec Micheline Presle). Cet hiver, il jouera à Paris une pièce d’Albert Camus.
Et enfin, George Cukor, le producteur hollywoodien lui a demandé d'être Chopin dans le film George Sand avec Greta Garbo. Il a refusé de tourner en Amérique. Le film sera fait en France et en Italie et Cukor a fait des propositions financières extraordinaires à Gérard Philipe, qui n’a pas encore répondu définitivement.
Ses réponses
1. À quoi reconnaît-on qu'on est fait pour être comédien ?
R[éponse]. Je ne sais pas à quoi on le reconnaît soi-même, parce que d’autres l’ont reconnu pour moi.
2. Quelles sont les qualités de base chez ceux qui se destinent à la comédie ?
R. Sensibilité, aisance.
3. Un ménage d’artistes peut- il être un ménage heureux ?
R. Je ne pourrais vous répondre que si j’étais marié à une actrice. J’ai peur, cependant, qu’une même profession amène de mêmes habitudes, puis la monotonie dans les relations.
4. Au théâtre, l’instinct peut- il remplacer la culture ?
R. Je crois que l’instinct est suffisant pour la création, mais, comme disait Marguerite Moreno : "Ça n’est pas le tout de jouer, ce qu’il faut c’est durer." Et Raimu avait fini par lire Molière.
5. Quelles sont les qualités que vous aimez rencontrer chez une femme ?
R. Ça dépend de l’heure, de la façon dont je suis habillé, de mon état d’âme, si je dois sortir avec elle, la voir longtemps ou peu, etc.
6. Aimez-vous rire ?
R. Beaucoup. Je pense que le rire est à la base de toutes ruptures de rythmes.
7. Que pensez-vous du bonheur ?
R. Je pense que c’est un but et qu’on doit chercher à l’atteindre.
8. Quelle est la chose la plus ridicule qui vous soit arrivée en scène ?
R. Dans "Caligula", je tapais sur un gong avec un maillet rembourré au bout. Le rembourrage s’est échappé en pleine action... et j’ai tapé quand même.
9. Êtes-vous pour les gens "naturels" ou bien admettez-vous que l’on cache sa nature sous une attitude ?
R. Quel droit aurais-je à ne pas l'admettre ?
10. Croyez-vous qu’on "fasse" sa vie à force de volonté ?
R. En gros, oui.
11. Vos films préférés : les vôtres et les autres ? Vos acteurs américains préférés ?
R. "Diable au corps", "Chevauchée fantastique", "Païsa", "La Règle du jeu", etc... Henry Fonda.
12. Si vous aviez un enfant, le laisseriez-vous faire du cinéma ? Quelles études lui conseilleriez-vous ?
R. Pourquoi pas ? Bachot [baccalauréat] et apprendre des langues.
13. Qu’est-ce qui, dans la "gloire", vous a étonné ?
R. La dissociation du personnage, créé par les journaux, d’avec moi-même. »
L’article est accompagné de la photographie reproduite ci-dessous et légendée « Le voici chez lui, avec ses livres, son chandail, son regard romantique, ses mains éloquentes », à la saveur involontairement amusante…
A suivre pour la seconde partie de l’article.
Illustrations : © Gallica-BnF.
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