1950 – Gérard Philipe fait un petit tour à la Comédie Française… (pour Georges Le Roy)

 Gérard Philipe et Georges Le Roy à Avignon (c) DR

Le 17 février 1950, Georges Le Roy, professeur de Gérard Philipe au Conservatoire d’art dramatique et sociétaire honoraire de la Comédie Française, fait ses adieux aux théâtre, dans la « Maison de Molière »… Pour l’occasion, il ressuscite une tradition, celle de la soirée d’adieux où le sociétaire sur le départ convie les artistes de son choix dans un long gala… L’événement est d’importance, d’autant plus qu’un tel gala ne s’était pas déroulé depuis 1938, année des adieux de Jeanne Delvair, sociétaire du Français et épouse de Le Roy. « Avec la recette de cette soirée, Georges Le Roy, qui est maître-verrier autant que comédien, espère se consacrer complétement à son art d'élection », précise Le Figaro (4 février 1950).

Cette soirée d’adieu de son professeur tant aimé est sans doute la seule qui verra Gérard Philipe jouer Salle Richelieu. Après l’avoir retoqué en 1944, lors des concours du Conservatoire d’art dramatique, la Comédie Française essayera à plusieurs reprises de le faire entrer dans sa Maison ; en vain. Le comédien-vedette accordera bientôt toute sa fidélité théâtrale à Jean Vilar…

Cette soirée du 17 février 1950 est l’occasion pour Gérard Philipe de remonter le temps, en compagnie d’autres illustres élèves de Georges Le Roy, puisque « on nous promet la reconstitution de la classe du Conservatoire, où George Le Roy devait former tant de talents. C’est ainsi qu’Edwige Feuillère, Madeleine Renaud, J.-L. Barrault remonteront le temps pour redevenir les élèves pleins de promesse qu’ils furent à l’époque où ils fréquentaient l’école de la rue de Madrid », comme le faisait miroiter Ce Soir (7 février 1950).


Répétitions (Figaro, 17 février 1950)

Légende : Sur notre photographie, on voit, au cours d'une répétition [du 15 février], Georges Le Roy et Lycette Darsonval. (Le Figaro, 17 février 1950)

 

La presse se fait l’écho du luxe et de la longueur du programme (prévu de 21h 15 à 2 heures 30 du matin), lequel laisse songeur : il se divise en cinq parties, la pensée, la poésie, la tragédie, l’atelier d’art dramatique, les jardins d’Orphée.

 

La soirée d'adieux de Georges Le Roy à la Comédie-Française, sera digne de la tradition

« Georges Le Roy donnera une soirée d’adieu à la Comédie- Française le 17 février. Revenir sur cette Information déjà vieille d’un mois implique qu’un de ces petits drames de famille qui sont monnaie courante dans la Maison de Molière s’est terminé le mieux du monde. On avait pu craindre un ajournement définitif de cette belle soirée. Nous apprenions hier qu’il n’en était rien finalement. Tout est bien qui finit bien.

Les, usages de la Comédie-Française autorisent, on le sait, tout sociétaire quittant la Maison pour prendre sa retraite d’y organiser lui- même sa soirée d’adieu avec qui il l’entend et de la façon dont il l’entend. La dernière de ces soirées (sic), celle de Cécile Sorel le 23 Juin 1933, nous montra Chaliapine. D’autres étaient allés jusqu’au match de boxe.

Un programme exceptionnel

Georges Le Roy, plus sage, nous compose un programme savamment dosé : Une partie classique avec un acte du "Misanthrope", "Grégoire" de Banville et "On ne badine pas avec l’amour" : une partie musicale, dont Bach et Mozart offriront l’essentiel ; un épilogue plus léger enfin qui ressortira ni plus ni moins au music-hall. Tout cela s’achèvera vers deux ou trois heures du matin. À qui, de ses camarades, Georges Le Roy a-t-il fait appel ? Surtout, aux transfuges du Marigny : Jean- Louis Barrault, Madeleine Renaud, André Brunot, Pierre Bertin, Jean Desallly, Simone Valère et Dacqmine. Puis à une pléiade de comédiens, dispersés sur toutes les scènes et dans tous les studios : Edwige Feuillère, Gérard Philipe, François Périer, Maria Casarès, Marie Dea, Bernard Bller, Jacqueline Porel. J’en passe..., et des meilleurs.

L’orchestre des Cadets du Conservatoire, dirigé par Claude Delvincourt, sera là. Et Hélène Bouvier, de l’Opéra, chantera, et Lycette Darsonval dansera. Maurice Chevalier, dit-on enfin, aurait été pressenti par Georges Le Roy.

Le président Vincent Auriol a été Invité, comme le veut la tradition, à présider la soirée. Nul doute qu’il acceptera d’honorer ainsi la résurrection d’une des plus brillantes traditions des Comédiens-Français. » (Jean-François Devay, Combat, 4 février 1950)

 

Répétitions (L’Aurore, 16 février 1950)

Légende : Maria Casarès et Lycette Darsonval, au cours d’une ultime répétition. (L’Aurore, 16 février 1950)

 

Gérard PHILIPE et Edith PIAF vont faire leurs débuts AU FRANÇAIS EN COMPAGNIE DE FRANÇOIS PÉRIER dans la classe de GEORGES LE ROY

« À soixante-cinq ans, Georges Le Roy, professeur au Conservatoire et ancien sociétaire du Français, va faire ses adieux au théâtre.

Le 17 février, il paraîtra pour la dernière fois sur la scène de la Comédie-Française au cours d'un gala conçu et réalisé par lui, qui sera le grand événement de la saison parisienne.

On sait que ces sortes de manifestations sont de tradition chez Molière. La dernière en date se déroula en 1933, à l'occasion du départ de Cécile Sorel. (sic)

C'est dire que Le Roy n'a rien négligé pour une soirée aussi rare. La recette, du reste, doit lui servir à se constituer un pécule, nécessaire à l'installation de l'atelier de maître-verrier qu'il convoite.

Ainsi, le 17 février, les vedettes les plus populaires du théâtre — qui furent pour la plupart ses élèves — se retrouveront à ses côtés.

On reconstituera sur scène une classe du Conservatoire. Et prendront place sur les bancs : Edwige Feuillère, Marie Dea, Maria Casarès, Gérard Philipe, Bernard Blier, François Périer, Jacqueline Porel, Jean-Louis Barrault, Jean Desailly, etc.

À l'appel de leur ancien professeur, ces comédiens viendront à tour de rôle interpréter une scène du répertoire.

Puis Georges Le Roy paraîtra dans trois rôles qui ont assuré sa réputation : Alceste, du Misanthrope, dont il jouera un acte ; Gringoire, de la pièce de Th. de Banville, et Perdican, d'On ne badine pas avec l'Amour. Madeleine Renaud lui donnera la réplique

Toutes les fantaisies étant permises pour une soirée d'adieux, on entendra Edith Piaf et Charles Panzera, Lili Laskine et Lelia Gousseau... tandis que Claude Delvincourt dirigera l'orchestre du Conservatoire et que Lycette Darsonval dansera sur une musique de Lulli.

Le spectacle, commencé à 21 h., se déroulera jusqu'à l'aube sous la présidence effective de M. Vincent Auriol. Y participeront également Hélène Bouvier, de l'Opéra, et la troupe de Marigny avec tous ses transfuges du Français, Pierre Bertin, [Jacques] Dacqmine, [Jean] Desailly, André Brunot.

Ce qui permettra à l'ancien doyen Brunot de jouer avec le doyen en exercice, Denis d'Inès, une scène du Malade imaginaire. » (L’Aurore, 6 février 1950.)

 

La liste des artistes qui ont répondu présents est impressionnante :

« Cinq professeurs du Conservatoire prêteront leur concours : Mmes [Béatrix] Dussane et Lily Laskine ; MM. Marcel Dupré, Olivier Messia[e]n et Charles Panzera.

Ainsi que Mlles Hélène Bouvier, Lycette Darsonval et Eliane Daydé, de l'Opéra.

Citons aussi Maria Casarès, Hélène Constant, Marie-Hélène Dasté, Marie Déa, Germaine Dermoz, Edwige Feuillère, Catherine Fonteney, Lelia Gousseau. Madeleine Renaud, Dany Robin, Marcel Tassencourt, Simone Valère ; Jean-Louis Barrault, Pierre Bertin, Bernard Blier, André Brunot, les Compagnons de la Chanson, Jacques Dacqmine, Jean Darcante, Jean Dessailly, Gérard Philipe, André Jolivet, Bernard Lancre, René Le Roy, Noël-Noël, Jean Parédès, Jacques Reynier, le Conservatoire d’Art dramatique, et les Comédiens Français. » (L’Aube, 11 février 1950).

 

Georges Le Roy en Perdican (Paris-presse L’Intransigeant, 19 février 1950)
Légende : Georges Le Roy en Perdican, près de Lise Delamare (photographie de Paris-presse L’Intransigeant, 19 février 1950)

 

Si on n’apprend pas quelle fut la scène « passée » par Gérard Philipe lors de cet « atelier dramatique », les comptes rendus de la presse donnent une idée de l’ambiance de ce gala :

Pour ses adieux Georges Le Roy a joué à bureaux fermés

« Rarement on vit tant de monde au Français.

Dès 20 heures, la salle était pleine. On n'aurait pu trouver le moindre recoin, la moindre marche où s'installer. Et encore, une centaine de personnes stationnaient-elles devant les portes, mal contenues par un service d'ordre débordé.

Georges Le Roy, dont c'étaient les "adieux au théâtre" allait jouer à bureaux fermés pour la dernière fois, devant un public enthousiaste d'admirateurs et d'amis. Pas un invité pour cette soirée exceptionnelle, placée sous la présidence de M. Vincent Auriol. Chaque spectateur avait tenu à payer sa place. Le fait est assez rare pour mériter d'être signalé.

On connaît déjà le détail du programme qui, contrairement aux habitudes, fut respecté. Cinq parties : la Pensée, la Poésie, la Tragédie, l'Atelier d'Art dramatique et les Jardins d'Orphée.

Pour sa part Georges Le Roy parut dans "Gringoire", "On ne badine pas avec l'amour" et "Athalie". Maria Casarès, Marie Déa et Madeleine Renaud, qui furent ses élèves, lui donnaient la réplique.

Ce fut ensuite un véritable festival de vedettes : Edwige Feuillère, Lelia Gousseau, Lycette Darsonval, Dany Robin, Simone Valère. Lily Laskine, J.-L. Barrault, Pierre Bertin, Bernard Blier, Jean Desailly, Noël-Noël, Gérard Philipe... sans oublier les Compagnons de la Chanson et la troupe de Marigny au complet. » (L’Aurore, 18 février 1950.)

 

Le gala d’adieu de Georges Le Roy a rapporté 1.500.000 francs

« Pour faire ses adieux à la Comédie-Française, Georges Le Roy a choisi le jour exact où l'on y célèbre le 277e anniversaire de la mort de Molière. Trente-deux années au service du théâtre, vingt-deux années de sociétariat, un long exercice du professoral au Conservatoire. Voila de quoi assurer à Georges Le Roy d’innombrable amis et de non moins Innombrables élèves. Tous, de Gérard Philipe à Denis d'Inès, avaient tenu à participer à un programme qui réunissait à son affiche tous les plus grands noms de notre scène. Salle éblouissante que M. Vincent Auriol présidait à son avant-scène et qui atteignit son point culminant d'émotion lorsque Georges Le Roy parut, entouré de ceux qui reçurent son enseignement. Chaque artiste s'évertua à donner le meilleur de lui-même. Ce ne fut pas sans efforts pour certains. Paul-Émile Deiber qui se blessa dans sa loge, joua Esther avec une main emmaillotée dans un pansement, et Jean-Louis Barrault faillit avoir une défaillance. En effet, sa troupe du Marigny est victime d’une épidémie d'oreillons et Barrault avait dû, au dernier moment, doubler Dacqmine dans "le Bossu".

Dans les couloirs du Français, l'atmosphère était fort gaie et l’on se donnaît rendez-vous, avant d'entrer en scène, au bar du foyer des artistes où l'on débite du Coca-Cola. Au grand dam de Bernard Blier, lequel fut, pour la première fois de sa carrière, le partenaire d'Edwige Feuillère dans "La Parisienne".

Georges Le Roy veilla personnellement à l'établissement du programme. Il avait demandé à Noël-Noël de chanter son célébré "Chapeau". Mais Noël-Noël, pour l'avoir trop chanté, ne le sait plus. Aux Compagnons de la chanson, il demanda :

"Chantez-moi "Ce sacré soleil" et "Mes jeunes Années". Pour un adieu, cela fera moins mélancolique."

Ce gala prit fin à 3 heures du matin. M. Michel Clemenceau tint à saluer celui qui fut un des grands amis de son père.

La recette dépassa 1.300 000 francs. Georges Le Roy, épuisé, eut un sourire. Celte somme lui permettra de réaliser un vieux rêve et d'équiper un atelier de maître verrier afin d'assouvir sa passion secrète. » (Paris-presse, L’Intransigeant, 19 février 1950.)

 

Les adieux de Georges Le Roy à la Comédie-Française ont duré toute une nuit

« La soirée d’adieux de Georges Le Roy, qui s’est déroulée dans la nuit de vendredi à samedi à la Comédie-Française. a dépassé tous les espoir* que l’on avait placés en cette reprise d’une des plus brillante traditions de la Maison de Molière. De mémoire de comédien, on n’avait connu un tel public, ni un tel "plateau". Le théâtre avait été fidèle au dernier rendez-vous de celui qui lui consacra trente- deux années de sa vie. Il ne restait plus un seul fauteuil inoccupé quand le Président Vincent Auriol vint prendre place dans son avant-scène. Le "Tout-Paris", évidemment, était là. Le spectacle, qui devait aller bien au-delà de quatre heures du matin, avait été composé par Georges Le Roy avec tout l’éclectisme d’usage en pareille circonstance : "La pensée" ouvrait le spectacle, de Bossuet à Valéry, en passant par Mozart et Clemenceau, "La poésie" suivait, avec Claudel, Banville, Musset, Chopin et Lulli. "La tragédie" précédait ensuite "Les jardins d’Orphée", où se coudoyaient les Compagnons de la Chanson, Lycette Darsonval, une célèbre harpiste, Noël-Noël redevenu chansonnier, etc., etc... "L’atelier d’art dramatique" reconstituait, enfin, une classe de Georges Le Roy au Conservatoire. Ses anciens élèves étaient venus nombreux : Gérard Philippe, Bernard Blier. Edwige Feuillère, Parédès, Darcante, Jean Desailly, Catherine Fontenay, Pierre Bertin, Noël-Noël, Marie Déa, Louise Conte, etc., etc... Madeline Renaud et Jean- Louis Barrault qui présenta un remarquable exercice de mime, obtinrent, en dépit (ou à cause) de leur qualité de "renégats", un succès personnel très net. Tous les comédiens français étaient là et en une grandiose évocation des pièces les plus illustres du répertoire, formèrent une garde d’honneur à Georges Le Roy, tandis que celui-ci, très ému, récitait, non sans ironie, "Une soirée perdue", d’Alfred de Musset. L’aube approchait quand les portes s’ouvrirent :

"— Il faudrait prévoir quelques coupures, pour les prochaines représentations", dit machinalement Jacques Charon. » (J. F. D., Combat, 20 février 1950.)

 

Cette soirée a été diffusée à la radio le 19 février 1950 sur la Chaîne Nationale, à 13h 15 (durée : 2 heures 15, selon la presse d’époque).

L’« atelier dramatique » a-t-il été enregistré et diffusé ? Selon la fiche documentaire de l’INA sur cette émission, on pouvait entendre uniquement, sur 13 minutes :

« - Gringoire de Th. de BANVILLE, extrait de la scène VIII, interprétée par Georges LE ROY et Mony DALMES : "aussi dieu n'a-t-il pas de ces dédains... Aux pauvres gens tout est peiné et misère" (3'50 ") (applaudissements).

- (A 3'50") le misanthrope de MOLIERE, extrait de l'acte v scène 4. Interprétée par Georges LE ROY, Yvonne GAUDEAU et DEBUCOURT : "hé bien je me suis tu, malgré ce que je vois... de vos indignés fers Pour jamais me dégager" (3'40 ").

- Applaudissements (15").

- "Madame, cent vertus ornent... Ou d'être homme d'honneur on ait la liberté "(1'40").

- Applaudissements.

- On ne badine pas avec l'amour d'Alfred de MUSSET. Interprétée par Georges LEROY, Renée FAURE. Acte II extrait scène 5 : "o Perdican ne raillez pas tout cela est triste à mourir... Un être factice créé par mon orgueil et mon ennemi". Applaudissements (4'). »

 

On peut consulter en ligne le reportage photographique fait par l'Agence Bernand-Enguerrand :  planches-contact.

Illustrations : Georges Philipe et Georges Le Roy à Avignon (© DR) - photos des répétitions parues dans L’Aurore du 16 février 1950 et du Figaro du 17 février 1950, photo de G. Leroy : Paris-presse, L’Intransigeant, 19 février 1950 © Gallica et BnF.

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