Voici une toute petite note de bas de
page pour une biographie de Gérard Philipe : l'implication du jeune
comédien dans la troupe (longtemps clandestine) des Jeunes Comédiens Associés.
Elle témoigne de ses liens avec de nombreux comédiens liés à la Résistance, ainsi que
de ses tentatives pour faire du théâtre « autrement ».
Il assouvira finalement cette envie en rejoignant la troupe de Jean Vilar, en
1951...
La libération de la capitale n'avait pas résolu les problèmes d'alimentation pour les Parisiens. L'hiver 1944-1945 fut très rigoureux, avec un froid exceptionnel. Les ressources et l'énergie manquaient. Mais le spectacle ne s'avouait pourtant pas vaincu….
À partir du 28 octobre 1944, les Jeunes Comédiens Associés représentent un Spectacle des Alliés au Théâtre Pigalle : ils y présentent quatre pièces de théâtre en hommage aux Alliés. S'y produisent : Micheline Presle, Madeleine Robinson, Bernard Blier, Georges Marchal, Louis Salou et Lucien Nat, associés au metteurs en scène Douking (qui avait repéré Gérard Philipe en 1942 et a eu un rôle déterminant dans sa carrière), Julien Bertheau, Jean Wall et Jean Meyer...
Le fondateur de la troupe André Certes étant sur le front, c'est Nadine Farel qui s'occupe de gérer le spectacle. Le secrétaire général est Georges Beaume, futur agent de stars et homme d'influence du cinéma français. Cette troupe avait été fondée en 1938 et s'était dissoute en 1939.
Bien que n'ayant jamais fait officiellement partie de cette troupe, Gérard Philipe est toutefois associé peu ou prou à l'aventure, même si ses projets théâtraux l'emmenèrent ensuite sur d'autres chemins.
L'histoire des Jeunes Comédiens Associés était ainsi résumée par le quotidien France (6 décembre 1944) :
« [...] Lorsque, peu de temps avant la guerre, André Certes forma - et réalisa — le projet de grouper quelques jeunes comédiens épris de leur art, et de former une véritable équipe, travaillant en communauté d'idées et en bonne camaraderie, un certain scepticisme l'accueillit. Altitude 3.200 devait pourtant connaître un succès que ne retrouvèrent pas tout-à-fait, en dépit des qualités certaines de ces pièces VireVent et Les Vacances d’Apollon.
L'équipe, pourtant, était bonne, puisqu’elle comprenait de jeunes comédiens comme Jean Chevrier, Robert Darène, Gaby Sylvia, Gérard Landry. Mais aucun d'entre eux n’était encore une vedette. Et le public veut des vedettes, attendant que le cinéma les lui impose par voie d’affiche pour en reconnaître le talent.
La guerre survint. Puis l'armistice. Renonçant momentanément à son activité théâtrale, André Certes dirige son énergie vers d’autres horizons. Il devient chef adjoint de l'École des Cadres du Maquis, secondé par Georges Beaume, actuellement secrétaire général des "Jeunes Comédiens Associes." Et, dans la clandestinité, ils n'arrivent pas pourtant à oublier leur théâtre chéri.
Des projets s’ébauchent. André Certes songe, lorsque les événements le lui permettront, à fonder une nouvelle troupe de “Jeunes Comédiens Associés,” qui groupent cette fois-ci des vedettes, mais toujours des camarades. Entre "résistants," on se réunit lorsque les circonstances l'autorisent, chez Alain Cuny. Il y a là Jean Marais, Georges Marchal, Madeleine Robinson, Madame Durand, dans la résistance — Serge Régiani, Gérard Philippe (sic), Blanchette Brunoy, Jacqueline Bouvier. Ainsi se constitua clandestinement la troupe nouvelle des "Jeunes Comédiens Associés."
Mais à des acteurs il faut des pièces.
—Pourquoi ne pas faire un programme groupant quatre pièces, chacune d’elles étant l'œuvre d’un des auteurs alliés ? proposa Alain Cuny.
La proposition adoptée d'enthousiasme, les recherches dans les bibliothèques commencèrent.
—Recherches périlleuses, se souvient André (sic : Georges) Beaume, car, sous l'occupation allemande, il n'était pas facile de compulser, sans se faire remarquer fâcheusement, les œuvres, notamment des auteurs russes.
On se décida enfin pour À destination de Cardiff de l’auteur américain Eugène O'Neill, N’importe comment, de Noël Coward, La Marguerite, d’Armand Salacroup, la vedette des auteurs dramatiques de la résistance, et La demande en mariage, de Tchékov.
Et, sitôt que la libération de Paris fut un fait accompli, les "Jeunes Comédiens Associés" s'installaient au Théâtre Pigalle avec leur Spectacle des Alliés.
La troupe, cependant, devait subir quelques modifications. Jean Marais se battait — et se bat toujours — quelque part dans l’Est de la France, Alain Cuny était occupé en Corrèze. André Certes lui-même était parti sur le front comme capitaine. On adjoignit donc à la troupe Julien Bertheau, Donking (sic : Georges Douking), Bernard Blier, Jean Meyer. Jean Wall, libéré du camp où il avait été emprisonné, se chargeait de la mise en scène. Le comité directeur se composait de Micheline Presle, Madeleine Robinson, Bernard Blier, Georges Marchal et Louis Salou.
Georges Beaume se chargeant de l’administration tandis qu’André Certes, bien qu’absent, demeurait le grand animateur.
—Nous voulons, affirme Georges Beaume, un théâtre sain sur tous les plans, aussi bien artistique que commercial.
Nos comédiens sont à la fois des artistes éprouvés et des hommes libres, qui veulent rompre avec les mœurs théâtrales.”
Et le succès vient couronner un si beau programme. Il y a vraiment quelque chose de changé dans le royaume théâtral français. »
Son fondateur André Certes expliquait précédemment que :
« Dès février 1944, nous prenions contact avec de jeunes comédiens dont l'opinion nous était d'avance connue. Un spectacle de libération fut mis sur pied patiemment, dans le secret, qui exprimait notre joie de pouvoir célébrer les littérateurs dramatiques des grandes nations alliées. Et lorsque advint la libération de Paris, à laquelle prirent part à des titres divers, à peu près tous les membres de notre association, les Comédiens Associés commencèrent, les armes encore à la main, à répéter ce qui devait être le Spectacle des Alliés. [...]
Après cinq ans d'un volontaire silence, les Jeunes Comédiens Associés se présentent à nouveau devant le public. Ils entendent par leur premier spectacle à rendre hommage aux nations libératrices, à qui ils doivent de se faire entendre de nouveau. [....]
Il me reste à dire que nous ne voulons pas, maintenant que nous avons connu la lutte quotidienne, lâcher prise., les Jeunes Comédiens Associés, entendent bien rester, aujourd'hui comme hier, au service de la France. » (Libération, 27 octobre 1944.)
Gérard Philipe faisait-il bien partie de ces jeunes comédiens contactés dès février 1944 ? Il était alors très pris durant la journée par le Conservatoire et, le soir, par les représentations de Sodome et Gomorrhe qui s’achèveront fin mai 1944.
Pensait-il alors se lancer dans l’aventure, avant que d’autres sollicitations ne le happent dès la Libération de Paris ? Dès novembre 1944, il jouera en effet la pièce de boulevard Au Petit Bonheur au Théâtre Gramont, et ne sera donc plus disponible.
Illustration : encart
publicitaire pour le gala de reprise des Jeunes Comédiens Associés. (Combat_25
octobre 1944 © Gallica-BnF)
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