1948 - Gérard Philipe, journaliste sportif, suit le Tour de France !

Mon ami Lapébie, par Gérard Philipe (titre de l'article de L'Intransigeant, du 27 juillet 1948) (c) Bibliothèque nationale de France

En juillet 1948, Gérard Philipe se transforme en journaliste sportif, le temps d’une étape du Tour de France. Voici son texte, rédigé pour l’Intransigeant, un quotidien parisien populaire. Vous n’y connaissez rien en cyclisme ? Ce n’est pas grave, Gérard Philipe non plus !

 

« Mon ami Lapébie, par Gérard Philipe

C’est aux Six-Jours, l’hiver dernier, que j’ai fait connaissance avec le sport cycliste. Je suis arrivé au Vél’ d’Hiv’ au moment d’une chasse, et pendant une demi-heure je n’ai rien compris.

J’essayais de suivre les coureurs des yeux. J’ai failli me dévisser la tête. Mais déjà, ce jour-là, j’avais remarqué Guy Lapébie. C’est pourquoi, dès le début du Tour de France j’en avais fait mon favori. C’était le seul dont je connaissais le nom et j’étais stupéfait de voir que les spécialistes lui accordaient si peu de chances. Pour moi, un pistard et un routier, c’est tout un, et du moment qu’on sait monter à bicyclette, il n’y a pas de raison pour ne pas gagner sur un anneau de bois ou sur une route.

Et mon incompétence m’a donné raison.

Quand nous sommes arrivés à Lille samedi soir, j’ai eu l’impression de débarquer dans une grande kermesse. Tous ces camions, ces haut-parleurs, ces vendeurs, ces motocyclistes nous avaient mis dans l’ambiance.

J’y fus placé mieux encore après avoir retrouvé l’équipe de "l’intransigeant" qui m’a "expliqué le coup". Pendant deux heures, j'ai écouté les théories des parfaits suiveurs. Les uns, comme Vidal de Lablache, qui prétendent qu'on est bien mieux 50 kilomètres en tête ou 50 kilomètres en queue, parce qu'à cette distance on n’est pas gêné par les coureurs. Les autres, comme Vanker, qui ne veulent jamais quitter le peloton, mais qui se mettent, sans le regarder, à taper à la machine dès qu’ils en approchent.

Quant à moi, grâce à Fred Bretonnière, j’ai suivi et j'ai vu.

Pendant les 283 kilomètres qui séparent Roubaix du Parc des Princes, Je n’ai pas perdu un mètre de course. J’ai assisté à l’effort stupéfiant de ces hommes qui roulent avec aisance à 35 à l'heure et, avec un peu moins de facilité, à 45 de moyenne.

J'ai beaucoup souffert pour mon "ami" Lapébie. Il boitait en marchant quand il est venu sur la ligne de départ, mais à vélo il ne semblait pas souffrir. J'aurais voulu qu’il gagne, mais on m’a dit que sa déchirure musculaire l’empêchait de tenter une échappée.

Enfin nous sommes arrivés et je ne pouvais m’arracher à ce Parc des Princes où les tours d'honneur succédaient aux tours d’honneur, comme s’ils n’avaient pas déjà 5.000 kilomètres dans les jambes.

Et il paraît que cela ne fait que commencer et que dès ce soir ils vont disputer des courses sur piste.

J’espère que Lapébie gagnera partout. » (L’Intransigeant, 27 juillet 1948)

 

Gérard Philipe (L'Intransigeant, 27 juillet 1948) © Bibliothèque nationale de France.

Le Vel’ d’hiv (ou Vélodrome d’hiver) était une piste cyclable On peut en voir ici une photographie de 1936. Le père de Sophie Desmarets, Bob Desmarets, en fut longtemps directeur entre 1919 et 1934 Ce stade, démoli en 1959, est tristement célèbre pour avoir abrité les victimes juives des rafles parisiennes en juillet 1942. Rappelons que Sophie Desmarets a joué avec Gérard Philipe en 1944 dans la pièce de théâtre Au petit bonheur, de Marc-Gilbert Sauvajon.

 

Source : L’Intransigeant, 27 juillet 1948. © Bibliothèque nationale de France.

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