1948 – Gérard Philipe passe son permis de conduire pour être Monsieur Pégase, géomètre

Gérard Philipe au volant d'une voiture

Tous les faits et gestes des vedettes de cinéma sont prétextes pour faire parler d’elles et d’eux. En 1948, l’obtention du permis de conduire de Gérard Philipe ne fait pas exception à la règle. Cet examen est nécessaire à l’acteur qui va bientôt tourner Tous les chemins mènent à Rome… (film intitulé, dans un premier temps, Monsieur Pégase, géomètre) et ce reportage est un prétexte idéal pour faire monter les attentes autour du film.

Gérard Philipe a très vite intégré la nécessité de la publicité dans la conduite de sa carrière et, comme il protège strictement sa vie privée, il se prête avec gentillesse à divers reportages sur sa vie avec sa mère (exemple ici ou ) ou à des reportages plus anodins sur sa vie quotidienne. Celui-ci fait partie du lot, et est bienvenu puisqu’il permet de publiciser le tournage du film (sur la page de gauche de la revue de cinéma figure une interview de Jacques Sigurd, le scénariste du film et l’ancien colocataire de Gérard Philipe dans le Quartier Latin.)

Voici donc comment Cinévogue rapporte les faits, probablement enjolivés pour l’occasion : les poses adoptées sur les photographies qui illustrent l’article sont surjouées et ont sans doute été prises après les faits. Notons que le patronyme du géomètre qu’incarne Gérard Philipe dans le film se prête à des comparaisons mythologiques car dans son essai sur Les stars, Edgar Morin appelait ces dernières : les « Olympiens », dieux et déesses modernes. Cette comparaison initiale reste donc tout à fait dans le ton du sujet…

 

...qui a passé son permis de conduire pour être, à l’écran, un Pégase motorisé

 

Le Pégase que nous connaissions jusqu’ici fréquentait de préférence la Grèce et ses environs immédiats, se propulsait par ses propres moyens — qui étaient variés puisqu’il possédait quatre pattes et deux ailes — se ruait à l’attaque de la Chimère et se souciait davantage de poésie que de géométrie.

Jacques Sigurd vient de changer tout cela. Son Pégase à lui n’aura que deux pieds et sa fantaisie seule sera ailée. Roux de poil, juvénile d’allure, ses seules pérégrinations, à 25 ans, auront été le passage du « pont-aux-ânes » et l’exploration des sentiers ardus de la science jusqu’au jour où son démon le poussera sur la route de Rome, dans une six-chevaux.. aptères. Non pas pour combattre les chimères, mais pour les apprivoiser.

 

L’ennui, c’est que Gérard Philipe, pour lequel Jacques Sigurd a écrit son Monsieur Pégase, géomètre, s’il pouvait à la rigueur assimiler en hâte les quelques théorèmes qu’il n’avait pas réussi à digérer dans son enfance, avait jusqu’alors négligé d’apprendre à conduire. Ses rôles, que ce fût dans La Chartreuse de Parme, où l’auto n’était pas inventée, dans Le Diable au corps, où il n'avait pas l’âge du permis, ou dans Une si jolie petite plage, où il passe son temps à se cacher de la police, ne le lui avaient pas demandé. Et, entre ses films, il n’avait pas le temps. Il apprenait son prochain rôle.

Heureusement, le futur Monsieur Pégase est un grand garçon sportif, pour qui ça a été un jeu que de s’initier au maniement du volant. Pour mettre toutes les chances de son côté, il n’en a pas moins pris très sérieusement des leçons avec une auto-école.

  

Gérard Philipe sort de son immeuble en regardant sa montre

Neuf heures... Gérard Philipe devrait déjà être à son poste...

 

Gérard Philipe attend au milieu d'autres personnes dans la rue

Mêlé à la foule des concurrents, supputant ses chances...

 

Gérard Philipe assis dans un square lit le code de la route en faisant semblant de se ronger les ongles

...Repassant fébrilement son code dans un coin du square.

 

Pourtant, quand le grand jour est arrivé, il a bien failli ne pas le passer, son permis de conduire, car à 9 heures du matin, heure de sa convocation, il dormait à poings fermés. Heureusement, Cinévie-Cinévogue était là pour frapper à sa porte. Quelques minutes plus tard, il descendait quatre à quatre les marches de sa maison de la rue de Tocqueville. Nous le retrouvions un peu plus tard rue Rude, mêlé à la foule des candidats, supputant comme eux ses chances à l’expression de l’examinateur, et repassant fébrilement son code dans un coin du square.

 

Mais, quand vint l’heure H, toute fièvre avait disparu et la voiture démarra sans secousses. Non, il n’avait pas oublié de desserrer les freins ; non, il n’avait pas omis de sortir la flèche ; oui, il passa bien en seconde avant son virage. Le demi-tour fut un chef-d’œuvre du genre et la marche arrière autour du trottoir, une merveille de précision. L’examinateur, qui, jusqu’au dernier moment, était resté un peu crispé — pensez donc, il aurait pu être de son devoir de « coller » Fabrice Del Dongo, et qu‘est-ce que lui aurait dit sa femme ! — s’était complètement détendu.

 

D’une belle écriture nette, il commença à remplir le carton rose tout neuf et il le tendit à Gérard Philipe avec un grand sourire en prime.

Allons ! Micheline Presle — à qui sa rencontre avec Gérard Philipe n’avait pas trop bien réussi dans Le Diable au corps — pourra courir en paix les chemins qui mènent à Rome et ceux qui en reviennent dans l’auto de Monsieur Pégase, géomètre. Cette aventure-là finira bien !

Janine RIBES. (Cinévogue, 24 août 1948, avec des photos de C. Lelarge)

 

 

Gérard Philipe au volant d'une voiture

La marche arrière autour du trottoir, une merveille de précision

 

Gérard Philipe reçoit son permis de conduire

Le précieux carton rose va passer des mains de l'examinateur dans celles de Gérard Philipe.

 

Gérard Philipe entre dans une voiture avec une journaliste

« Cinévie-Cinévogue » — en la personne de sa rédactrice en chef, Janine Ribes — étrenne le permis de conduire de Gérard Philipe.

 

 

Source : Bibliothèque nationale de France.

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