1948 – "Le Miroir des Vedettes", un reflet partial de Gérard Philipe

En mai 1948, vedettariat oblige, c’est au tour de Gérard Philipe d’être l’objet d’une biographie « officielle » de la part du Miroir des Vedettes, un hors-série émanant de Radio Revue. Ce portrait est rédigé par J[ean]-M[arie] Coldefy.

Ce qui est intéressant, ce sont les qualificatifs quasi-« homériques » accolés en sous-titre de ces biographies. Ainsi, en 1948, Edith Piaf, qui inaugure la série avec le n°1, est une « cendrillon devenue vedette » ; Bourvil, fascicule n°2, un « comique paysan » ; pour Jean Marais, n°4, on s’interroge : « ange ou démon ? » ; Michèle Morgan, n°5, devient « une petite fille têtue » (!) ; Yves Montand, n°6, est présenté comme « un homme dans la grande cité » ; Danielle Darrieux, n°7, est « une drôle de gosse »… Si cette dernière précision fait allusion à la carrière précoce de « DD » et évidemment au film Quelle drôle de gosse de Léo Joannon, on peut s’interroger sur le choix de ces sous-titres qui orientent évidemment le récit.

Gérard Philipe, quant à lui, est « un grand garçon tout simple ». Sous-titre programmatique qui infléchit évidemment cette biographie  plus ou moins « autorisée ».

 

première de couverture du Miroir des Vedettes, Gérard Philipe (mai 1948)

Relevons aussi que Marais et Morgan, vedettes incontestées, sont d’ailleurs traitées après le numéro publié sur Philipe, ce qui atteste de l’importance des admirateurs et admiratrices de cette vedette plus récente ; c’est bien un nouveau lectorat qu’il convient de prendre en compte…. Les vedettes traditionnelles sont en passe d’être supplantées par de nouvelles idoles. (Pour les palmarès des vedettes et leur présence dans cette presse spécialisée, se reporter à la thèse de doctorat de Camille Beaujeault, Histoire culturelle d’une star de cinéma en France : Gérard Philipe, “le” jeune premier de l’après-Seconde Guerre mondiale (1946-1958)).

En 1948, Gérard Philipe a derrière lui plusieurs rôles marquants au cinéma : L’Idiot et, surtout, Le Diable au Corps en ont fait un acteur avec lequel il faut compter. La Chartreuse de Parme a cimenté cette image de « jeune premier romantique » dont il essaye (déjà) de se dépêtrer. Le journaliste a beau insister sur sa polyvalence d’acteur dans son récit, les images choisies renforcent cette image prégnante de jeunesse éclatante et de romantisme tous azimuts.

En effet, les photographies d’illustration racontent à elles seules un récit parallèle. Sur les 26 photos (y compris les deux de couverture) qui agrémentent le fascicule :

·        deux photos sont des portraits (première de couverture et une photo de famille),

·        trois sont des paysages de Cannes ou Grasse illustrant les lieux de son enfance,

·    onze (incluant le portrait de famille) sont des clichés privés montrant Gérard Philipe avec son frère ou (majoritairement) avec sa mère,

·        une photographie documente l’Ange de Sodome et Gomorrhe,

·        une autre, Caligula de Camus,

·        une reconstitue le couple des Épiphanies avec Maria Casarès,

·        une est une scène de la pièce de boulevard KMX Labrador,

·        deux illustrent L’Idiot,

·        une, Le Pays sans étoiles, avec Jany Holt,

·        une, Le Diable au Corps, avec Micheline Presle,

·    trois, La Chartreuse de Parme (dont deux dans un registre résolument pathétique, montrant le prisonnier de la tour Farnèse, et une drôlement intitulée « "La Chartreuse de Parme" souffrira pour ce magnifique chevalier si sévère »… alors qu’elle montre la Sanseverina à sa toilette avec Fabrice Del Dongo !),

·     et une dernière photo présente le comédien dans son intérieur en train de feindre de prendre son petit-déjeuner, exercice obligé d’une « paparazzade » volontaire et publicitaire.

 

Le Miroir des Vedettes, mai 1948 : le petit-déjeuner de Gérard Philipe
 

Le cinéma est donc représenté avec sept photographies, le théâtre avec quatre. Cette prédominance du 7e Art est peu surprenante car ce statut de vedette vient bien de l’activité cinématographique, bien que le théâtre l’anoblisse. (La France est l’un des rares pays où cette polyvalence professionnelle est très bien perçue, et même souhaitée.) 

Si l’on se penche plus précisément sur ce choix de rôles, on remarque que l’ambivalence est savamment distillée, équilibrée même, contribuant à fabriquer une image officielle, une persona publique d’un être hybride mi-ange (Sodome et Gomorrhe) mi-démon (Caligula), mi-saint laïque (L’Idiot) mi-personnage vivant dans un entre-deux irréel (le réincarné du Pays sans étoiles). Hors norme donc.

Ce qui est particulièrement notable dans cette biographie, c’est l’insistance sur la précocité du talent du jeune comédien. De même, « Les Enfances Gérard » (pour parodier la littérature, déjà bien représentée dans cette carrière) sont très bien représentées, avec une abondance de photographies de famille ; on ne peut que penser qu’elles ont été communiquées directement par sa mère Minou, « sa maman si belle et si jeune qu’elle pourrait passer pour sa grande sœur », précise le journaliste.

Figure fondamentale dans la vie de son artiste de fils, Minou figure de manière quasi systématique sur les photographies publiées, le « trio » formé avec ses deux fils étant mis à l’honneur. Du père, presque aucune mention ; au milieu des nombreuses erreurs factuelles qui émaillent le récit, il s’efface progressivement de la vie de son fils, bien qu’on affirme que Gérard Philipe passe ses vacances « avec ses parents »… sans préciser vraiment où ! De même, il est évidemment hors de question de s’appesantir sur les années de guerre, sauf pour évoquer les « ruses » pour éviter le STO (nulle mention évidemment, des problèmes de santé de Philipe justifiant cette exemption), le départ à Paris « pour échapper définitivement peut-être à la pieuvre nazie » (on se demande bien comment !) ou la Libération (« C’est sur une barricade du Quartier Latin, faisant le coup de feu avec ses camarades étudiants, que Gérard Philipe vécut ces journées inoubliables de l’insurrection, apportant ainsi avec l’enthousiasme qu’on lui connaît, sa modeste contribution, à la Victoire toute proche (sic !!) »... alors qu'il participa à la prise de l'Hôtel de Ville.

Les anecdotes d’enfance occupent donc une bonne partie d’un texte probablement mouliné dans divers à-peu-près. La description du physique du jeune premier s'ajoute à cette image de jeunesse : en 1943, après la tournée d’Une grande fille toute simple, on apprend que « son visage entre temps, s’était aminci, ses traits s’étaient marqués plus durement, ses yeux avaient pris une flamme étrange qui y brille toujours. Il avait cessé d’être un gamin très fin pour devenir le grand garçon à la beauté étrange, un peu tourmentée que nous connaissons aujourd’hui », ce qui renforce cette impression. Gérard Philipe ne serait en somme qu’un « grand garçon » comme le François du Diable au Corps ; si adolescent que les anecdotes d’enfance tiennent encore une large place dans sa biographie.

Mais c'est un jeune homme qui défend farouchement sa vie privée (c’est donc qu’il en a une !) et qui reste en même temps attaché à sa mère (trait qui ne peut que rassurer ses admiratrices) ; ainsi ce séducteur est tout à fait de bon ton.

Cette séduction savamment évoquée par le journaliste reste cependant particulièrement ambiguë : ange ou démon ? La mise en page d'une double page donne à réfléchir, et sur l’image de la vedette mise en avant à ce moment de sa carrière, et sur la place (prépondérante) de sa mère dans la fabrication de cette image publique… (Elle n’hésitait apparemment pas à être très active dans la promotion de son fils.)

 

"Le Miroir des Vedettes", numéro sur Gérard Philipe

 

La similitude des attitudes des deux « couples », accentuée par le montage, est en effet assez troublante... mais semble ici vouloir gommer ce que le personnage de François conserve de sulfureux.

La fin du fascicule est particulièrement éclairante sur la machine promotionnelle en marche. En voici quelques extraits :

 

« CHAPITRE XVI

CHEZ LUI RUE DE TOCQUEVILLE

C'est à ce moment que Gérard Philipe déménage. Non pas que la grande amitié qui le lie à Jacques Sigurd, qui partageait avec lui le logement de la rue du Dragon ait pris fin.

Non ! Seulement, il éprouve le besoin, depuis quelques temps, de s'installer chez lui, de mener une existence plus rangée. La vie de bohème, pour lui, a pris fin. Avec beaucoup de mal, il découvre, rue de Tocqueville, un petit appartement tranquille au fond d'une grande cour ombragée et plantée d'arbres. Le cadre intime et confortable le séduit. Il s'installe et meuble ses trois pièces avec goût. Il y transporte ses livres, sa magnifique collection de disques choisis avec soin. Sa maman vient le rejoindre, arrangeant une pièce, mettant des fleurs ici, un bibelot là, apportant cette indispensable note féminine à la personnalité dont Gérard Philipe a su imprégner son intérieur. Petit à petit, on s'organise, rue de Tocqueville. Gérard se lève tard, lit son courrier qui est volumineux, et répond gentiment à toutes les lettres d'admirateurs, envoyant sa photo dédicacée. Puis, sur le coup de deux heures, il se met à table avec sa mère, dans un coin de son studio. Ils déjeunent tous les deux, en tête à tête, tandis que la radio déverse en sourdine une musique douce, fond sonore indispensable à ce cadre intime. Gérard est généralement habillé avec ces chemises écossaises à grands carreaux qu'il affectionne tant. Sa maman porte un pyjama d'intérieur en soie noire, une sorte de pyjama chinois qui sied peut-être à son talent de chiromancienne mais qui, surtout, met en valeur sa grande beauté. Et puis Gérard, lorsqu'il ne tourne pas, se plonge dans la lecture des journaux spécialisés, des critiques. Il lit aussi les manuscrits d'auteurs, qui lui sont confiés. Il a toujours quelque chose en préparation. Souvent, des amis viennent le voir, et ce sont d'interminables conversations. Et puis il sort, va voir des camarades, des metteurs en scène, des auteurs, toujours très simple, gentil avec tout le monde. Souvent, on se retourne sur son passage, dans la rue et il entend murmurer :

— Tu as vu, ce grand garçon ? C'est Gérard Philipe !

— Penses-tu !

— Mais, je te dis que c'est lui.

Il feint de n'avoir pas entendu et poursuit son chemin, mais si on lui réclame un autographe, il s'exécute avec bonne grâce. C'est la rançon de la gloire qu'il lui faut bien accepter. Il le fait très simplement, sans jamais manifester de mauvaise humeur.

***

Il joue maintenant "K. M. X. Labrador" à la Michodière. C'est une pièce traduite de l'anglais qui n'a pour prétention que de faire rire les spectateurs. Et elle y parvient pleinement grâce à Gérard Philipe qui est étourdissant dans les gags les plus imprévus. (...)

***

Le rideau se lève à neuf heures. Mais c'est vers huit heures seulement que Gérard se souvient qu'il joue chaque soir à la Michodière. Il court alors jusqu'à ce petit bar voisin du théâtre où chacun le connaît. Avec sa mère parfois, avec Claude Génia souvent, il dîne sur le pouce. Les clients sont rares à cette heure. Un pianiste joue mélancoliquement dans un coin. Ses camarades savent qu'ils le trouveront là entre huit heures et demie et neuf heures. Ceux qui jouent dans les salles du quartier viennent lui dire bonjour avant d'entrer en scène. On parle un moment, et puis on s'en va. Enfin, à neuf heures moins cinq, le régisseur ou le concierge de la Michodière arrive, essoufflé, alors qu'il avale la dernière bouchée de son dessert.

— M. Gérard, on a déjà sonné. Dans cinq minutes, vous entrez en scène.

Il s'en va alors de son pas nonchalant. Avant de s'engouffrer par l'entrée des artistes, une petite jeune fille, toute rougissante de son aplomb, lui demande un autographe.

— Un crayon, s'il vous plait. Merci ! Voilà Mademoiselle.

L'habilleuse l'attend dans sa loge.

— Bonjour Monsieur Gérard.

— Oh ! c'est vous qui m'avez mis ces lilas sur la table !

— Ils vous font plaisir ?

— Comme vous êtes gentille. Et puis, ils sentent si bon !

— Je les ai ramenés de la campagne. Demain, j'en apporterai pour votre maman.

Tout ie monde aime bien ce grand garçon tout simple et tout ceux qui travaillent avec lui, même les plus modestes, ne l'oublient pas lorsqu'ils peuvent lui faire plaisir ou lui rendre service. Et son sourire un peu mystérieux de grand adolescent est leur plus belle récompense.

Il enfile maintenant sa chemise à carreaux, le pantalon rapiécé avec lequel il doit rentrer en scène, se maquille en deux temps, trois mouvements. On croit qu'il va être en retard. Mais non. Il arrive toujours au dernier moment mais réussit à être prêt lorsque résonnent les trois coups fatidiques. Et, comme chaque soir, dès qu'il apparaît sur scène, il tient son public, il le sent. Dans la salle, au fond.de ce trou noir où les spectateurs invisibles sont rangés derrière la rampe éblouissante, on réagit merveilleusement à chacune de ses répliques. Il joue la comédie. Il fait rire des centaines d'inconnus. Il a gagné cette partie si difficile. C'est magnifique. Il a choisi le plus beau des métiers !

 

CHAPITRE XVII

"MA VIE PRIVÉE NE REGARDE QUE MOI..."

L'ON a beaucoup parlé de la vie privée de Gérard Philipe. On en a beaucoup trop parlé. Un journal spécialisé dans l'exploitation des scandales en tous genres, a raconté qu'il avait eu de multiples aventures avec les vedettes qui furent ses partenaires. On a bien souvent annoncé ses fiançailles avec telle ou telle actrice. Tout ceci est faux, archi-faux.

Comme tous les garçons de son âge, Gérard Philipe a eu quelques flirts, mais cela s'est toujours arrêté là. Il n'est peut-être pas encore mûr pour la "grande aventure", mais surtout, il n'a pas encore rencontré celle à qui il unira sa destinée. Pour l'instant, son métier suffit à remplir sa vie et, quand il a quelques jours de liberté, il ne demande qu'une chose : Qu'on le laisse les passer en paix avec ses parents (sic), au bord de la mer qu'il aime tant ou dans la neige, lorsqu'il peut aller à la montagne en hiver.

Lorsqu'on lui parle de sa vie privée, son visage se ferme, et il se replie sur lui-même pour répondre :

— Cela ne regarde que moi.

Sans doute reproche-t-il à certains "journalistes", si l'on peut appeler ainsi ces gens qui font profession de déceler le scandale et de faire du "sensationnel à tout prix", de vouloir franchir certaines frontières. Il n'y a pas de raison pour que le côté le plus intime de la vie privée d'un acteur devienne public.

***

(…) [Long développement sur la sirène de Gérard Philipe]

 

EPILOGUE

DES projets, Gérard Philipe en a toujours. Il a toujours une pièce en préparation, un film en vue. Ainsi, il a accepté de tourner, alors qu'il jouait encore "K. M. X. Labrador", deux films de Jacques Sigurd (…).

Le premier, "M. Pégase Géomètre", est un film comique, Le second, "Une si jolie petite plage", est un sujet triste.

— Ce dernier film, dit Gérard Philipe, me plaît beaucoup, car il est "écrit cinéma" à 100 %. On y parle autant que dans n'importe quelle bande mais par bien des côtés, il rappelle le cinéma muet.

Pour expliquer ce passage du comique au dramatique, il dit encore :

— Ce sont des branches différentes du même arbre...

Car, ce qui est remarquable, c'est que Gérard Philipe qui est avant tout un jeune premier romantique (depuis Charles Boyer, Pierre-Richard Wilm et Pierre Blanchard, nous [n’] avions personne pour tenir cet emploi) excelle également dans tous les genres. Ses réussites dans les rôles dramatiques sont égales à ses créations comiques. Gérard Philipe est un comédien complet et un acteur né. Il possède, à défaut d'une longue expérience, ce génie instinctif qui fait les grands acteurs.

Lorsqu'il accepte un rôle, on sent qu'il "vit" avec son personnage et y pense beaucoup. Il veut conserver sa liberté de choix et il lit longuement et avec beaucoup d'attention les textes qui lui sont proposés avant de donner son accord. Même si on lui faisait un "pont d'or" il refuserait un rôle qui ne lui plairait pas.

***

Tel est Gérard Philipe, ce grand garçon tout simple que le succès — et quel succès ! — n'a pas grisé. Ses goûts sont déconcertants par leur diversité. Cette diversité que l'on trouve jusque dans le caractère des personnages qu'il incarne et auxquels il "colle" avec un naturel et une facilité à travers lesquels ne transparaît ni l'effort, ni la composition. Il passe pour être timide. L'est-il réellement ? Non, mais derrière une sorte de pudeur instinctive, propre à l'adolescence, il se garde jalousement, par crainte, peut-être, de faire rire les indiscrets en leur livrant ses goûts et ses pensées. Il entend que l'on ne franchisse pas certaines barrières et, en s'excusant gentiment, avec une moue d'enfant contrarié qui se transforme vite en un sourire amical, il évite la question qui l'importune.

Un soir, il se laissa aller à parler un peu plus que de coutume de son métier, de ses projets et même de sa vie. Cela se passait dans ce petit bar au cadre intime sous les lumières tamisées, où il prenait ses repas lorsqu'il jouait "K. M. X. Labrador", à La Michodière. Il était installé dans un coin discret, au fond de Ia salle, près du piano dont les notes mélancoliques assuraient l'indispensable fond sonore. Il portait une de ces chemises de laine à carreaux multicolores qu'il affectionne. Ses mains aux longs doigts effilés jouaient sur la table. La charmante Claude Génia, sa partenaire d'alors, était à côté de lui.

— J'aimerais voyager, dit-il tout à coup, partir à l'aventure, découvrir des pays que je ne connais pas. Mais pour voyager, il faut être libre, ne pas se sentir bridé par un travail quelconque. Lorsque nous avons tourné "La Chartreuse de Parme", en Italie, je n'ai hélas pu voir que Rome - dont j'ai d'ailleurs magnifiquement profité - et le lac de Côme...

Ce désir de "partir" lui vient sans doute de l'époque où, enfant, il regardait en rêvant, dans le port de Cannes, les bateaux qui prenaient le large...

— Mon travail me prend tellement, reprit-il, que je ne peux guère faire de projets. J'aimerais tant recevoir mes amis, les voir plus souvent ! Malheureusement, je suis parfois obligé de les négliger.

Il y avait un peu d'amertume certes, dans la voix de Gérard Philipe, lorsqu'il prononçait ces paroles, mais on y aurait vainement cherché une trace de cabotinage. Car il est la simplicité même, n'affectionne jamais aucune attitude et ne joue pas au monsieur-qui-sait-tout-et-qui-a-tout-vu. Il est rare de le rencontrer dans les bars ou les cocktails à la mode. Il a horreur de tout ce qui est snob, guindé ou solennel. Il semble bien décidé d'ailleurs, à faire le moins possible, dans la vie, ce qu'il n'aime pas. Lorsqu'on s'entretient avec Gérard Philipe, bien entendu, il est toujours question, à un moment ou à un autre, de son art dont il parle avec passion.

— Un acteur, disait-il ce soir-là, a sa part dans l'interprétation du caractère d'un personnage et ne doit nullement se borner à prêter son visage et ses gestes à la volonté d'un metteur en scène...

Mais à neuf heures moins cinq, dans le petit bar où il prenait alors ses repas, le concierge du théâtre tout proche vint interrompre la conversation à "bâtons rompus" que nous tenions depuis un moment déjà. L'heure était venue...

Sur le pas de la porte, Gérard Philipe se retourna et nous vîmes un instant encore l'expression fermée et mystérieuse de son visage et ses grands yeux bleu si profonds sous les cheveux fous...

Et puis, silhouette nonchalante dans sa chemise à carreaux multicolores, il s'en alla vers son public...

Tel est le véritable Gérard Philipe, à la fois sensible et délicat, enthousiaste et réfléchi, déconcertant et mystérieux, mais capable aussi de la plus folle fantaisie. Tel est ce grand garçon tout simple et très sympathique à l'étonnante carrière si courte et si riche déjà, qui s'est imposé en quelques mois comme le plus grand parmi les jeunes comédiens de cette époque. »

 

Ajoutons pour finir, que les problèmes d’exactitude au théâtre de Gérard Philipe semblent avoir été récurrents dans sa carrière (Jean Vilar lui adressa d’ailleurs une très célèbre note à ce sujet !), rançon d’une vie très remplie !

 

Illustration : Le Miroir des Vedettes  (collection personnelle de l'autrice du blog). 


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