1949 – Recherche gitane pour "La Beauté du Diable" !

La Beauté du Diable de René Clair : Gérard Philipe et Nicole Besnard

La Beauté du Diable, film politique ? Film ambitieux en tout cas, et fruit d’une longue gestation. Ainsi que le relève Pierre Billard, biographe du cinéaste, « En 1948, quand René Clair est en quête d’un sujet de film, cette inquiétude (faustienne) devant les progrès de la science et le pouvoir qu’ils confèrent est récupéré par un "Mouvement pour la Paix", d’inspiration communiste (…) ». Cette campagne aboutira ensuite à l’Appel de Stockholm (signé par Gérard Philipe et Michel Simon, mais non René Clair). Toutefois, l’inspiration faustienne est bien au cœur de ce scénario, même si le réalisateur ne peut manquer d’être imprégné par le contexte dans lequel il vit. Il racontera avoir été marqué, enfant, par une représentation de Faust, à laquelle il doit en partie sa vocation théâtrale. (Ce qui est aussi le cas de son coscénariste Armand Salacrou.)

René Clair expliquera que : « Quand j’ai commencé à penser à Faust, mon premier dessein était de faire sur ce thème ce qu’un musicien appellerait "variations", d’une manière plus ou moins fantaisiste. Je me suis aperçu plus tard, en compagnie d’Armand Salacrou qui avait consenti à s’embarquer avec moi dans cette aventure, qu’un thème pareil ne se laisse pas mener comme on le veut et finit par imposer son propre style. » (Cité par Pierre Billard, Le mystère René Clair, Plon, 1998.)

En réalité, à force de fouiller les archives à la recherche de toutes les variations littéraires sur le thème (il en restera au moins l’expérience radiophonique Une larme du Diable !), René Clair et son compère ont oublié d’étoffer le rôle de Marguerite ! Elle est donc portion congrue dans un scénario très travaillé, où domine l’affrontement d'Henri Faust et de Méphistophélès, ce qui se reflète également dans les statuts des acteurs et dans leurs cachets. Ainsi on peut lire dans la presse :

 

René Clair cherche une gitane inconnue pour la Beauté du Diable

« RENÉ CLAIR et ARMAND SALACROU, coauteurs de La Beauté du Diable, commenceront, en mars prochain, les prises de vues de ce film.

"Ce sera, disent-ils, ne transposition moderne du thème de Faust."

L'homme du cinéma et l'homme de théâtre ont travaillé comme des bénédictins aux dialogues et au découpage. Pour ne pas être dérangés, ils avaient loué une villa aux environs de Paris Pendant des semaines entières, ils n'ont pas mis le nez dehors ; René Clair, qui est très minutieux, défaisait la nuit ce qu'il avait bâti le jour.

— Jamais vu ça, raconte Salacrou. C'est Pénélope qu'il aurait dû s'appeler.

Gérard Philipe et Michel Simon seront les deux interprètes principaux du film. Le premier a demandé huit millions de cachet. C'est un modeste. Le second s'est laissé fléchir à quatorze, dont quatre payables en francs suisses. C'est un prudent.

On comprend que dans ces conditions René Clair cherche une inconnue pour le rôle de Marguerite.

Si vous comptez dans vos relations une jeune personne brune, du genre gitane, qui ait la beauté du diable et pas trop d'exigences, envoyez-la à l'auteur du Silence est d'or. » (L'Aurore, 10 février 1949.)

 

Marguerite la gitane sera finalement jouée par Nicole Besnard, tout juste sortie du Conservatoire d’art dramatique. Michel Simon sera préféré à Jules Berry en Méphisto ; René Clair s’en mordra les doigts, tant l’acteur rendit le tournage difficile par ses provocations incessantes et ses obsessions sexuelles (la pauvre Simone Valère eut apparemment matière à s'en plaindre...).

Quant au Faust, sa prise de contact avec son cinéaste s’était au début très mal passée. René Clair se souvenait que :

 

« C’est à Nice que j’ai rencontré personnellement Gérard pour la première fois. (…) il tournait Tous les chemins mènent à Rome.

J’avais vu Le Diable au Corps. Me premières craintes étaient vaines. Si le virtuose cérébral [de Caligula] (…) peut être aussi l’adolescent tout simple, le jeune animal cruel et mélancolique qui m’est apparu sur l’écran, c’est que ce Gérard Philipe a les dons qui font les grands acteurs. J’ai eu envie de le connaître. J’ai provoqué la rencontre. Elle est désastreuse.

Il me reçoit avec ce visage de refus derrière lequel – je le saurai plus tard – il saut dissimuler sa gentillesse et sa curiosité. Quelques minutes d’entretien, aux cours desquelles sa timidité hostile me rend hostile et timide moi-même, et nous voilà plus éloignés l’un de l’autre que nous ne l’étions aux premiers mots échangés. Comme je tente, sans chaleur, de lui exposer l’idée générale d’un Faust que j’ai en tête, il m’interrompt : "Et pourquoi Faust n’aurait-il pas envie d’être damné ?" La conversation ne pas beaucoup plus loin ce jour-là. Au diable, en effet, Faust et ce gamin qui veut en remontrer à Marlowe ou Goethe sans même les avoir lus ! A la fin, il me dit qu’il voudrait voir le scénario avant de se décider. Finalement je me mets en colère et le traite de "petit c…" » (Cité dans Gérard Philipe. Souvenirs et témoignages recueillis par Anne Philipe et présentés par Claude Roy. Gallimard, 1960.)

 

Le film se fera toutefois, et les deux hommes et leurs épouses finiront par devenir amis très proches durant ce tournage.

 

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