1943 – "L’ange" Gérard Philipe entre au Conservatoire d’art dramatique (reportage)

Gérard Philipe et Dany Robin au Conservatoire d'art dramatique
 

« Deux anges entrent au conservatoire ! » Et d’ailleurs, « Après le concours d'admission, Dany Robin, joyeuse, s'installe à la table du jury et Gérard Philippe [sic] agite gaiement la sonnette présidentielle ». C’est du moins ce qu’affirme le magazine Vedettes, spécialisé dans le cinéma et (aussi, un peu) le théâtre… Ce reportage d’une des revues de cinéma les plus diffusées à l’époque se penche sur deux jeunes comédiens tout juste admis au Conservatoire d’art dramatique, Dany Robin (alors encore danseuse) et Gérard Philipe.

« Les examens d'entrée au Conservatoire viennent de se terminer. Pendant plus de trois jours, 357 jeunes filles et 227 garçons ont défilé devant un jury éclectique composé du Doyen de la Comédie-Française, du vice-doyen, de sociétaires, de professeurs, de trois représentants de la Société des Auteurs, et de plusieurs directeurs de théâtres parisiens.

72 concurrents ont été retenus pour un nouvel examen. 13 seulement seront admis dans les classes d'art dramatique du Conservatoire.

Parmi les jeunes filles, Dany Robin fut reçue première au concours d'admission. Cette année est, pour elle, celle du succès puisque, au dernier concours, elle a remporté le premier prix de danse. La comédie la tentait également. Pendant trois mois, elle a étudié avec Maurice Escande. Elle a été une Agnès si candide, si charmante, si sincère, qu'elle a fait sensation. Dany n'a que seize ans. Grande, svelte, musclée, elle possède des yeux d'un bleu très tendre et des cheveux de soie blonde qui découvrent un front bombé et têtu, il manque une ingénue aux Français. Sa place est marquée.

— Avez-vous eu le trac, pendant l'examen ?

— Oh ! non. Pas du tout ! je ne l'ai que lorsque je danse. On peut glisser, perdre l'équilibre. Pour la comédie, il n'y a que le texte.

Depuis le 1er octobre, elle est engagée à l'Opéra. Selon les règles de la maison, elle commence par un petit emploi et suit la filière. Dernière du second quadrille, elle fait de la figuration : elle est un ange dans la "Damnation de Faust".

— J'ai toujours aimé la danse, dit-elle avec enthousiasme. Rien cependant, dans ma famille, ne semblait me destiner au théâtre. Mon père travaille chez Citroën. Maman s'occupe de la maison et de nous. [...] Mes parents n'ont pas contrarié ma vocation, je suis née en dansant, l'avais dix ans quand j'ai commencé à suivre les cours chez Mademoiselle Jeanne Schwarz. J'y suis restée quatre ans. [...]

— Pensez-vous que votre avenir soit à l'Opéra ou aux Français ?

— Je suis incapable de répondre à cette question maintenant. Mon cœur et mon temps se partagent entre la danse et la comédie. Pour le moment, je veux seulement étudier, je choisirai plus tard. Le matin, je suis les cours de danse, l'après-midi, ceux de comédie. À six heures, je me rends à l'Opéra. Et, le soir, je n'ai qu'une idée, aller au théâtre ou à un récital [...]. Comme j'habite Clamart, je rate presque régulièrement mon dernier train et je rentre chez moi à pied, je ne lis pas beaucoup, j'ai si peu de temps... mais je jardine. [...]

 

Gérard Philipe et Dany Robin au Conservatoire d'art dramatique

[Légende de la photo : « C'est ici que deux "anges" vont vivre désormais. Gravement ils visitent les immenses locaux du Conservatoire où ils feront leurs nouvelles classes ».]

 

En même temps que Dany Robin, un autre ange est entré au Conservatoire, l'ange de "Sodome et Gomorrhe" : Gérard Philippe [sic]. Il a vingt ans et mesure 1 mètre 82. Il est harmonieux, souple, romantique de visage, et très beau. Ses étranges yeux gris brillent au-dessous de très longs cils.

Onze hommes furent reçus seulement au concours d'admission sur les 227 qui se présentaient. Au premier tour, interprétant "Fantasio", Gérard Philippe [sic] fut premier, mais au deuxième, en jouant Perdican, le trac le saisit brusquement. Il oublia son rôle.

Né de parents hôteliers à Grasse, c'est par hasard qu'il vint au théâtre. Au cours d'un gala de bienfaisance, une ex-sociétaire le pria de dire quelque chose. Après l'avoir entendu, elle décréta :

— Il faut continuer.

En tournée, il joua la pièce de Ducreux et Roussin, "Une grande fille toute simple", puis il reprit le rôle de François Périer dans "Une jeune fille savait". Il vient de tourner le film de Marc Allégret, "Les petites filles du quai aux Fleurs".

Il a préparé le Conservatoire avec Denis d'Inès et entre dans sa classe. Ce sont les rôles de jeune premier fantaisiste qui lui plaisent : les rôles qu'il joue, en somme.

Aussi, comme Dany Robin, Gérard Philippe se déclare-t-il heureux. » (M. N., Vedettes, 13 novembre 1943.)

 

Gérard Philipe et Dany Robin au Conservatoire d'art dramatique

[Légende de la photo : « Dany Robin et Gérard Philippe [sic] contemplent le grand tableau qui surmonte l'estrade du jury. 584 élèves ont défilé devant. 72 seulement ont été reçus. »]

 

Gérard Philipe avait fait ses premiers pas au théâtre dans Une grande fille toute simple, d’André Roussin, puis il avait enchaîné sur une tournée en zone non occupée de Une jeune fille savait, d’André Haguet. Mais ce sont les représentations de Sodome et Gomorrhe, de Jean Giraudoux, qui font éclater son talent sur une scène parisienne. Après avoir tourné une « panouille » dans La boîte aux rêves, de Jean Choux et Yves Allégret, il avait été l’un des soupirants des Jeunes filles du quai aux fleurs, de Marc Allégret.

S’il a bien préparé le conservatoire avec Denis d’Inès, comme nous l’apprend cet article, il ne restera qu’un an dans la classe de cet éminent sociétaire de la Comédie Française. C’est Gérard Philipe qui demandera à passer dans la classe de Georges Le Roy auquel le liera une longue fidélité admirative (il participera même à sa soirée d’adieux à la Comédie Française, seule fois où il foulera cette scène…) Ce changement de classe se fera avec une certaine acrimonie de la part de son ancien professeur (voir la biographie de Gérard Bonal.)

 

Illustrations : photographies de Lido, originellement publiées dans l’article de Vedettes. © la Cinémathèque française. Cinéressources

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