Entre octobre et novembre 1951, Minou Philip accorde une interview à Cinémonde et lui confie les bonnes feuilles d’un ouvrage qu’elle a écrit : Le Trio est un recueil de notes et de souvenirs sur l’enfance de ses fils, suivi de notes relatives à la carrière de Gérard. Selon l’autrice, il restitue « le climat dans lequel nous avons vécu et où […] est venue [la] vocation de comédien » de Gérard Philipe.
Malgré une annonce sous-entendant la prochaine parution de ce livre, il ne verra jamais le jour. Ces extraits, accompagnés de photographies de famille, sont les seuls communiqués par Mme Philip. Il semblerait même que les documents originaux aient été détruits, car elle confiera, après la mort de son fils cadet, au journaliste Maurice Périsset : « J’avais brûlé la plupart de ses lettres, comme j’ai brûlé, à sa demande, le journal que je tenais sur lui depuis le premier jour où il est monté sur les planches. Il ne me reste plus que ses cartes postales… » (Maurice Périsset, Gérard Philipe, éd. Alain Lefeuvre, 1979, p. 76-77.)
L’interview de Mme Philip nous apprend quelle était l’organisation familiale relative à l’une des conséquences immédiates de la célébrité de Gérard Philipe : la correspondance envoyée par ses admirateurs (principalement des admiratrices, semble-t-il). Ce traitement est encore « artisanal », puisque c’est Mme Philip elle-même qui se charge de trier une partie cette correspondance, et d’y répondre parfois.
Par la suite, le courrier de Gérard Philipe sera traité par son agence Cimura (dirigée par Lulu Watier, Blanche Monteil et Paulette Dorisse), puis il fera appel à une officine spécialisée pour traiter et trier les monceaux de lettres qui lui parvenaient, comme il l’expliquait à sa secrétaire, Mme Veber, alors qu’il se trouvait sur le tournage de La meilleure part :
« [...] Tâchez de débrouiller le courrier avant mon retour. / J’ai profité d’un service spécial qui existait à Cimura hors de ma connaissance et qui s’occupera des lettres - dites - d’admiratrices. / de même, un autre service s'est dévoilé à mes yeux après le départ de Monette : celui qui s'occupe de toutes les questions d’URSAAF et assurances. / Voilà donc des papiers que vous ne retrouverez pas à votre retour. [...] » (Lettre datée du 23 août 1956, adressée à Madame Veber. – autographe passé en salle de vente en 2021.)
Légendes des photos : « Les trois premières images du film de sa vie. – Six ans : premier déguisement. Gérard faillit être asphyxié par la lavande. – Il revêt avec dignité son premier pantalon long. – Le futur héros de Camus et de Giraudoux fait ses premiers pas dans le siècle (Gérard est à gauche.) »
Voici la première partie de cette livraison du Cinémonde du 20 octobre 1951 :
VOICI LES CARNETS SECRETS DE MINOU PHILIP, MAMAN DE "FANFAN LA TULIPE"
On savait déjà que Minou Philipe [sic], la maman de Gérard Philipe, tirait les cartes et se servait des tarots avec une virtuosité parfaitement bohémienne.
Un talent ne va jamais seul.
Minou Philipe vient de mettre le point final à un gros manuscrit, une suite de récits qu’elle a intitulée Le Trio.
C’est un livre écrit pour rire, pour rêver, pour chanter, pour s’attrister, bourré de choses et de personnages familiers, illustré de présences vivantes. Le téléphone sonne, la petite voiture roule, "Croate", la bonne pieuse empêtrée dans vingt jupons, crie et se démène, des fleurs partout, du courrier comme s’il en pleuvait, Gérard qui se déguise (à six ans !) et il continue à vingt-sept : ce n’est pas sérieux. C’est la vie.
— Pourquoi avez-vous écrit ce livre ?
— Pour me réfugier dans ma jeunesse.
— Cette formule pourrait être celle d’une dame à cheveux blancs. Vous savez bien qu’on vous prend souvent pour une sœur de Gérard !
— Je connais des jeunes femmes de trente ans qui se réfugient déjà dans leur jeunesse. J’ai écrit simplement pour mettre noir sur blanc mille impressions qui m’ont frappée et que j'ai voulu conserver dans leur fraîcheur.
— Pourquoi ce titre : Le Trio ?
— Parce que nous ne faisions qu’un ! Gérard à mon bras droit, et Jean, son frère aîné, à mon bras gauche.
— Aimez-vous écrire ?
— J’aime penser et je ne fais que transcrire ce qui m’a frappée. Par exemple, j’adore bâtir des romans autour de personnages que je choisis parmi les gens les plus imprévus, assis en face de moi dans le métro, pressés dans l’autobus, entrevus dans la rue.
— Dans votre livre, parlez-vous beaucoup de Gérard Philipe ?
— J’aurais tendance à en parler trop et il n’a pas besoin de moi pour faire beaucoup parler de lui.
— Quelle place a-t-il dans Le Trio ?
— Mon bras droit ! J’évoque moins ses travaux et ses jours que le climat dans lequel nous avons vécu et où lui est venue sa vocation de comédien.
— Pensez-vous avoir exercé une influence sur son destin d’acteur ?
— Nous jouions la comédie tous les trois. J’inventais des histoires tristes ou terribles pour aiguiser leur sensibilité. Les yeux de Gérard, alors, étaient si attentifs que j’aimais y faire naître les lueurs de la tristesse, de la joie ou de l’indignation. Quand il était à mon diapason, ou plus exactement au diapason de mon histoire, nous changions de sujet ou d’occupation. Gérard, a six ans, manifestait déjà un penchant irrésistible pour le mime et les déguisements. Il savait bien que pour ces choses-là j’étais sa complice.
— Avez-vous d’autres projets littéraires ?
— Non ! D’ailleurs j’ai à écrire trop de lettres, à entretenir une correspondance serrée avec mon fils Jean qui est aux colonies. En outre, Gérard me confie souvent le soin de répondre à une partie de son courrier qu’il faut traduire ou faire traduire. J’adore les lettres japonaises ou écrites dans des langues peu communes. Un groupe de jeunes filles tchèques, anonymes, envoie régulièrement des photos et des messages charmants, c’est une petite chronique mensuelle illustrée. Un autre rite : dans la semaine qui suit la sortie de chaque nouveau film, la création de chaque pièce nouvelle, Gérard reçoit une aquarelle ou une gouache représentant une scène importante du film ou de la pièce. Expéditeur (ou expéditrice) inconnu. Pendant qu’il jouait Le Figurant de la Gaieté, au Théâtre Montparnasse, avec le frivole chien Biquet, ce dernier était objet de mille attentions. On lui apportait des boîtes d’os tout neufs, des gâteaux... Biquet grossissait à vue d’œil, il se ruait sur tous les paquets qu’il repérait.
— Quels sont les chapitres principaux de Trio ?
— "Le téléphone", qui joue un grand rôle, "Première" où je parle particulièrement — et avec précaution — du cinéma, de Gérard, de mes impressions sur chaque nouveau personnage que je lui vois incarner, "La maison du souvenir", qui, dans la chronologie de mon récit, se place à la fin de l’enfance de Gérard, à sa naissance de comédien.
— Ou se situent les chapitres que vous nous confiez ? :
— Le premier, "L’auto", est un menu fait divers tout à fait récent. Le second, "L’accident", relate une péripétie de nos vacances d’autrefois. Rien de commun avec l’accident du Festival d’Avignon ou le coup de sabre cueilli par l’exubérant Fanfan la Tulipe.
Cette petite aventure nous arriva au retour des vacances... Quel retour...
(Recueilli par J.-A. Foëx.) »
Légende : « De toutes les étonnantes images de Fanfan la Tulipe, Minou Philipe [sic] a préféré celle-ci. »
Suite
de la série des Carnets secrets de Minou Philip : n°1 B – n°2 – n°3 - n°4 - n°5 - n°6.
Illustrations parues dans Cinémonde du 20 octobre 1951 (exemplaire personnel) : © DR et famille Philip (photos confiées au magazine par Mme Minou Philip).
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