1951 – Gérard Philipe croque la pomme (mais pas le chocolat) d’une admiratrice

pomme et chocolat

Le premier « week-end de Suresnes », qui marque les débuts du T.N.P. de Jean Vilar, suscite le plus fol enthousiasme de la part des spectateurs et de la critique. (voir ICI ou LÀ) Et les témoignages d’admiration ne manquent pas, parfois directement adressés au héros du Cid, et parfois cocasses :

« Au restaurant du Festival, Gérard Philipe a croqué la pomme. Toutes celles de nous lectrices qui s‘étaient présentées assez tôt pour pouvoir retenir leurs places pour le week-end artistique de Jean Vilar présenté à Suresnes par ELLE, ont été enthousiasmées le samedi par la représentation du Cid. Au déjeuner du dimanche auquel participait toute la troupe du Théâtre National Populaire, l’une d’elles, plus enthousiaste encore, a tendu à Gérard Philipe — Rodrigue — la pomme de son dessert : "Tenez, vous avez été magnifique." » (Elle, 17 décembre 1951)

Gérard Philipe et sa pomme... (Elle, 17 décembre 1951)

La valeur n’attend pas le nombre des années… ni l’admiration amoureuse ! C’est ce que constate la journaliste Marianne Andrau qui relate dans la rubrique « Vos enfants et vous » de Elle (11 juin 1951) une scène d’infatuation adolescente…

 

« Entre deux âges. Qu'une fille de 15 ans entasse dans une boîte des tablettes de chocolat, de prime abord cela n’a rien de surprenant. Mais qu’elle vous avoue, comme fit ce jour-là Françoise, ma jeune nièce : "Je le garde pour Gérard Philipe" il y a de quoi faire ouvrir de grands yeux à l'adulte le plus compréhensif. Je sais bien que nous étions alors sous l'occupation. Le chocolat était réservé aux J 3.

— Pour Gérard Philipe... ton chocolat !...

J’avais failli éclater de rire. Quelle idée absurde !

Mais déjà le petit visage se fermait. Je m’en voulus. Cette enfant avait besoin d’aide, pas de railleries.

Ma main releva doucement le menton qui penchait vers la poitrine.

— Voyons, mon petit, explique- moi. Tu t’es privée de chocolat pour Gérard Philipe. Tu as donc tant... d’amitié pour ce garçon ?

— Ce n’est pas de l’amitié, proteste une voix mouillée, tante Marianne..., je l’aime pour de bon.

— Tu l’aimes ? (nous verrions cela plus tard). Mais... ce chocolat... crois- tu ?...

— Oui, je sais. Cela te paraît sans doute ridicule, mais j’ai voulu faire Pour mon... amour, un vrai sacrifice. Tu sais comme je suis gourmande. Te souviens-tu, en une heure, je mangeais toute ma ration ? Eh bien, je suis sûre qu’en recevant mon paquet, il comprendra ra à quel point je l’aime.

J’étais consternée. Comment une telle naïveté pouvait-elle apparaître chez une fille réputée intelligente. Je songeais à la tête de Gérard Philipe ouvrant le fameux paquet, je regardais silencieusement Françoise.

Soudain, je vis. Je vis les petites mains gauches qui tenaient la boîte de chocolat : c'étaient des mains d’enfant. Mais les yeux qui me regardaient, angoissés, attendant mon verdict, étaient déjà des yeux de femme. Derrière ces yeux, c’était un cœur de femme qui se débattait dans l'étrangeté d’un premier amour.

Muer n’est pas simple. On ne se dégage pas de la petite fille du jour au lendemain pour s’épanouir en femme. Les deux personnages coexistent ; plus ou moins longtemps. Ils tirent à hue et à dia.

J’ai parlé longtemps, tendrement. Non pas en prenant Françoise sur mes genoux comme je l’eusse fait quelques mois plus tôt, mais en tenant ses mains comme celles d’une amie. J’ai fait quelques confidences sur les maladresses de mon premier amour à moi. Françoise a consenti à en rire.

Au bout d’une heure de conversation nous avons pu croquer un peu du chocolat que, la veille, l’élu seul eût pu déguster sans sacrilège. Gérard Philipe me pardonnera. Il n’a jamais reçu l’envoi qui lui était destiné.

Un peu plus tard, Françoise m’a confié :

— Je n'étais pas très sûre au fond, que mon "grand sacrifice" suffirait à m'attirer l’amour de Gérard Philipe. D'ailleurs, Hélène avait sans doute raison quand elle me disait que les vedettes gagnent assez d'argent pour s’acheter des bouchées au marché noir.

Alors... »

Gérard Philipe, son admiratrice et son chocolat

 

À Québec, Gérard Philipe ne se privera pourtant pas d’en manger… Cependant cette saynète atteste que le jeune comédien avait déjà « traîné tous les cœurs après [lui] » par ses apparitions cinématographiques. La jeune fille ne l’avait sans doute pas vu au théâtre.

Cette ferveur juvénile est très perceptible dans le courrier des lecteurs des revues de cinéma : reviennent, de manière assez systématique, des interrogations sur l’âge, le statut de célibataire, les projets de Gérard Philipe. (Pour approfondir cette forme d’admiration, veuillez vous reporter à l’article de Camille Beaujeault, « Les lettres d’admirateurs-trices de Gérard Philipe. Nouvelles sources pour approcher la relation des spectateurs aux stars de cinéma » dans Mise au point, juin 2014 (disponible en ligne). Les reportages valorisant le côté bon fils studieux et sans histoires de Gérard Philipe, séducteur doté d’une séduisante ambiguïté dans ses rôles (voir ici, ici, ici ou ) ne pouvaient que conforter cette adulation féminine.

 

Ces deux anecdotes, publiées dans Elle, l’un des hebdomadaires féminins les plus lus de l’époque, cimentent cette persona qui s’étoffe désormais de l’aura héroïque et romantique des personnages miroirs que sont Rodrigue et Frédéric de Hombourg.

On notera toutefois que, loin de confondre l’acteur avec ses personnages, la jeune Françoise garde les pieds sur terre… après avoir pris un peu de recul : « Je n'étais pas très sûre au fond, que mon "grand sacrifice" suffirait à m'attirer l’amour de Gérard Philipe. D'ailleurs, Hélène avait sans doute raison quand elle me disait que les vedettes gagnent assez d'argent pour s’acheter des bouchées au marché noir » !

 

Illustrations des articles : © Gallica-BnF

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