1947 – Gérard Philipe répond à un questionnaire (interview)

Cinévie, du 29 juillet 1947 (© Retronews-BnF)

Après s’être vu décerné un prix d’interprétation masculine pour le rôle de François Jaubert pour Le Diable au corps, Gérard Philipe passe d’espoir confirmé au statut de vedette. Les conséquences ne tardent pas : la presse s’intéresse de plus en plus à lui… Le magazine de cinéma Cinévie lui envoie une interview-questionnaire auquel répond Gérard Philipe, depuis Rome où il tourne.

Certains des points abordés dans l’interview ont fait l’objet de développements sur ce site. Vous trouverez les liens pointant vers ces articles dans le corps de cette retranscription.

« C’est de Rome où il tourne "La Chartreuse de Parme" sous la direction de Christian-jaque, que Gérard Philipe répond aux 25 questions indiscrètes que lui a posées "Cinévie". Malgré le peu de temps dont il dispose entre les prises de vues, il a tenu à rédiger lui-même les réponses à ce questionnaire et de nous les envoyer par avion.

Voici donc, à travers ces lignes, un peu de la personnalité du lauréat du prix de l’interprétation masculine du Festival de Bruxelles.

1 - Par qui avez-vous appris que vous aviez reçu le prix de l’interprétation masculine ?

Par un télégramme de ma mère.

2 - Avez-vous été surpris ou y comptiez-vous un peu ?

 J’avais un espoir très sourd et sans raison, et, en même temps, une conviction d'espoir mal placé.

3 - Comment vos camarades de "La Chartreuse de Parme" ont-ils fêté votre succès au Festival de Bruxelles ?

J'ai eu, de la part de quelques-uns, des marques de sympathie ou d’amitié, qui m’ont beaucoup touché.

4- Votre famille a-t-elle favorisé votre vocation artistique ?

Non. Elle n'a jamais essayé de la contrecarrer. Mon père désirait que je poursuive mes études de droit. Ma mère, elle, m’a beaucoup aidé, puisque c'est elle qui m’a présenté Marc Allégret, lequel... (voir plus loin).

5 - À quand remontent vos débuts ?

Fin 1948, j'ai débuté au Casino municipal de Cannes, dans la Compagnie Claude Dauphin, juste avant qu’il ne parte an l'Angleterre. J’ai débuté aux côtés Madeleine Robinson, Claude Dauphin, Jean Mercanton, Marcelle Praince, Marthe Alycia et Pierre Louis, dans une pièce d’André Roussin : "Une grande fille toute simple".

6 - À qui devez-vous votre chance ?

À Marc Allégret, puis à Claude Dauphin, puis à Georges Douking et Jacques Hébertot (qui montaient "Sodome et Gomorrhe", de Giraudoux)... puis à Micheline Presle, qui insista pour que je joue "Le Diable au corps".

7 - De vos rôles si différents, de "L'idiot" ou du "Diable au corps", quel est celui qui vous a demandé te plus de travail préparatoire ?

Je travaille surtout au studio en parlant au metteur en scène, et mon travail fut, à des titres très différents, du même ordre avec Georges Lampin qu'avec Claude Autant-Lara.

8 - Quel est, à votre avis, le trait dominant de vos partenaires ?

Je ne comprends pas votre question. Est-ce que votre trait dominant, à vous, est d'écrire ? Alors, le leur serait celui de jouer. Mais si le trait dominant veut dire "qualité ou défaut", est-ce que cela ne serait pas affreux d’en avoir un qui domine ? Je ne pense par que ni Mlle Feuillère, ni Mlle Presle soient un cas pathologique, dans ce sens-là.

9 – D’où vous sont venues les leçons qui vous ont été les plus utiles dans votre métier : d'amis, d’un metteur en scène ou simplement d’avoir regardé les gens vivre autour de vous ?

Je ne sais pas. Je pense que c'est d'avoir écouté des gens que j’estimais, d'avoir vu jouer aussi et puis regardé autour de soi... je ne sais pas exactement.

10 - Avez-vous suivi des cours de diction ? Quel était votre professeur ?

J’ai été à Nice chez M. Huet, envoyé par Marc Allégret, et puis à Cannes, chez Jean Wall, toujours en 1942. Ensuite, à Paris, au Conservatoire, chez Georges Leroy, deux ans. J’en ai gardé un souvenir merveilleux.

Cinévie, du 29 juillet 1947 (© Retronews-BnF)

11 – a) Votre ascension en flèche a-t-elle influencé vos goûts ? b) En quoi consiste pour vous la vie idéale ?

a) Je ne crois pas. b) Je préfère garder tout cela pour mol, ainsi que pour la question numéro 12.

 12 - Et les vacances rêvées ?

………………………..

 13 - La publicité faite autour de votre nom vous flatte-t-elle ? Vous déplaît-elle ? Vous laisse-t-elle indifférent ?

 Quand je vois un article sur Gérard Philipe, je n'éprouve pas la même chose que vous, journalistes, ou que le public. Le papier que Je lis possède un caractère privé. Cela devient une affaire entre moi et le papier, comme si on m’envoyait une lettre à laquelle je ne puisse pas répondre. Ça me flatte, me déplaît ou me laisse indifférent, dans la mesure où l’article peut, moi correspondant privé du journaliste, me flatter, me déplaire ou me laisser indifférent.

 14 - Votre succès à Bruxelles vous a-t-il déjà rapporté de nouveaux contrats ?

 Non, pas de nouveaux.

 15 - Quelles sont les obligations apportées par votre métier d’acteur, qui vous importunent le plus ? Présence à des galas, courrier & répondre, etc. ?

 Quand on est fatigué dans le premier cas, oui, ou dans le deuxième cas quand le courrier n'est pas intéressant.

 16 - À équivalence de rôle, que choisiriez-vous entre une bonne pièce et un bon film ?

 Je jouerais l'une le soir et je tournerais l’autre le jour.

 17 - Avez-vous déjà reçu des propositions pour Amérique ?

 Oui, j'ai déjà eu des propositions.

 18 - Quand vous allez au cinéma, qu’y cherchez-vous surtout : une détente, un moyen de vous perfectionner ? Êtes-vous bon public ?

 Je cherche à voir un film qui me permette de me détendre sans arrière-goût de soirée perdue. Oui, je suis bon public.

 19 - a) Préférez-vous tes films doublés aux versions originales ? b) Parlez-vous anglais couramment ?

a) Je préfère les versions originales. b) Non.

20 - Êtes-vous mondain, sociable ou sauvage ?  La perspective d'une soirée, seul, au coin du feu, vous ennuie-t-elle ?

Les trois, suivant qu’il s’est passé tel événement X, Y ou Z. Oui, si à ce moment-là, j'ai envie d’être mondain.

21 - Êtes-vous partisan du retour de la tenue de soirée pour les hommes, dans des occasions telles que théâtre, galas, etc.

Je suis partisan d’une tenue très correcte pour tous ceux qui vont au théâtre. Quant aux galas, si on mobilise les pompiers et la garde municipale, autant se mettre en tenue de soirée.

22 - L’idée de passer un habit ou un smoking vous gâte-t-elle une soirée ?

Non, ça m’a même réjoui certains soirs, on a l’impression de se déguiser. Quand on en prend l’habitude, cela doit devenir assez triste.

23 - Dans leurs lettres, vos admiratrices vous parlent-elles plus de votre jeu ou de votre physique ?

Elles me parlent plutôt d'elles.

24 - L’amitié entre un homme et une femme vous semble-t-elle une chose utopique, souhaitable, durable, flatteuse ou non pour la femme ?

Je ne crois pas qu’on puisse parler aussi généralement de cette question. Il n'y a que les cas particuliers.

25 - Dans quelle catégorie vous classez-vous : les intellectuels, les poètes, les sportifs ? Êtes-vous un homme pratique ? Savez-vous faire la cuisine ?

Je n’aime pas les catégories, mais je ne me crois pas spécialement poète, ni spécialement sportif, ni spécialement intelligent. Figurez-vous que j'ai l‘ambition d’être un homme pratique, et dans la cuisine je n’arrive qu’à me brûler. » (Cinévie, 29 juillet 1947.)

 

Gérard Philipe répondra à des questionnaires à plusieurs reprise dans sa carrière. On peut lire ICI ses réponses de 1959, alors qu’il était une « vedette au microscope ».

 

Illustration : Cinévie, du 29 juillet 1947 (© Retronews-BnF)

 

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